Un film chilien à l’affiche : Jesús-Petit criminel
À Santiago du Chili, le 26 octobre 2016, Fabian Mora est libéré sur parole, il est un des quatre accusés d’avoir participé à un passage à tabac ayant conduit à la mort du jeune Daniel Zamudio. À 24 ans, Fabian était le moins âgé des impliqués et il a joué un rôle mineur dans l’attaque mortelle. Le film Jesús-Petit criminel est inspiré très librement de ce fait d’hiver tragique survenu en 2012. C’est le deuxième long-métrage de fiction du réalisateur chilien Fernando Guzzoni.
Le film commence de manière très énergique, sur scène nous découvrons un groupe de jeunes chanter et danser une chanson pop orientale très rythmée. Après un moment, nous découvrons que c’est une compétition de danse K-Pop (danse coréenne) à laquelle le protagoniste et ses amis participent. Jesús est un garçon de 18 ans qui ne travaille pas, qui n’étudie pas et qui passe ses journées à danser avec ses amis, à tuer le temps en se droguant et en quête de relations sexuelles.
Après ce début tonitruant, le récit avance vers l’inertie dans laquelle vit ce groupe d’adolescents. Sans porter de jugements moraux sur leurs actions ou idéaliser leur oisiveté, le film nous montre comment ils passent leurs journées dans la rue, à chercher des divertissements ou à regarder des programmes sur Internet atteignant des niveaux d’horreur impressionnants. C’est un groupe sans idéologie, sans aucun but personnel, sinon la jouissance du moment. Le film est sans préjugés par rapport à leur esthétique et leur personnalité, ils n’ont pas de limites à leurs actions, ils passent rapidement de la passivité à la violence. La caméra de Guzzoni se déplace avec habileté parmi ces corps juvéniles, entre le vide et l’hédonisme.
La plupart des acteurs ne sont pas des acteurs. Il s’agit plutôt de jeunes issus des sous-cultures du k-Pop et de l’otaku (manga et BD). C’est une génération ayant une fascination pour les médias, pour la technologie et qui s’expose ouvertement dans les espaces publics. Le film ne spécifie pas le quartier de Santiago où Jesús et ses amis vivent. Le réalisateur a évité les clichés, ils ne sont pas issus du lumpen-prolétariat mais plutôt de la classe moyenne. Jésus est mauvais élève, mais il excelle lors des concours de danse k-pop. Son père parle peu avec lui et quand il le fait, c’est pour le harceler en raison de sa paresse. C’est un veuf travailleur et rigoureux qui travaille loin de Santiago.
Le jeune homme s’entoure d’un groupe de copains, parmi eux Beto est dangereusement violent. C’est lors d’une nuit d’ivresse que survient le crime, quand les quatre protagonistes traversent un parc et rencontrent un garçon de leur âge qui peut à peine parler tant il est ivre. Beto est dans un état d’ébriété avancé, il porte des coups très violents sur le corps désarticulé de la victime. Alors que les autres amis se joignent à Beto, Jésus prend part à la correction pour ne pas entrer en conflit avec le reste de la bande.
Immédiatement après le crime, les médias donnèrent leur version, d’après eux il s’agissait d’un meurtre commis par une bande de néo-nazis. Mais le réalisateur Fernando Guzzoni ne crut pas à cette version du meurtre, il ne voulut pas faire un film avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Il n’a voulu victimiser personne, la vérité est ailleurs.
Dans la réalité Fabian Mora était le « moins coupable » des bourreaux de Daniel Zamudio. Sa mère et sa tante étaient morte, il a vécu avec sa grand-mère, il a été à l’université, puis il l’a quitté, il ne semblait être ni un sociopathe ni un criminel. Il aimait par-dessus tout la culture otaku, du jour au lendemain il a été impliqué dans l’une des affaires criminelles les plus emblématiques du Chili.
Le film est noir, très noir. L’une des choses les plus puissantes dans Jesús-Petit criminel est son portrait de la masculinité chilienne. Le moteur de ce film est la relation entre un adolescent et son père, une relation distanciée et difficile qui se définit par l’incommunicabilité. Fernando Guzzoni entre dans les complexités d’une âme humaine torturée, avec le personnage de Jesús il confirme sa capacité à dépeindre la solitude et la misère morale. Ces deux hommes ont des valeurs diamétralement opposées et leur façon de comprendre le monde et leur place dans le monde sont radicalement différentes, d’où le peu de temps qu’ils passent ensemble.
Le film de Fernando Guzzoni est inquiétant en raison de la clarté avec laquelle il dépeint les solitudes urbaines. Les douleurs de Jesús sont beaucoup plus proches des nôtres qu’on le croie, même si nous n’en acceptons pas l’idée. Jesús-Petit criminel montre du doigt les tares de la société chilienne ainsi que les conséquences désastreuses que l’individualisme peut avoir sur chacun des citoyens. Il nous montre la déshumanisation de la société chilienne contemporaine, qui n’a toujours pas réussi à faire le deuil de la violence de la dictature de Pinochet. Il met en évidence les séquelles d’une période historique traumatisante ainsi que les dégâts que cause sur les individus la société chilienne actuelle.
Dans Mala junta, un long-métrage chilien de la réalisatrice mapuche Claudia Huaiquimilla, sorti récemment, Tano un jeune adolescent citadin est livré à lui-même et n’a plus aucun repère dans l’existence, il rencontre Cheo, un adolescent riche de sa culture et des valeurs qui lui ont été transmises par sa mère et son peuple mapuche, le peuple originel du Chili qui défend ses terres ancestrales. Leur rencontre va peu à peu transformer et changer leur regard sur la vie. Le film permet de réfléchir sur ce qu’est la construction de soi et l’affirmation de l’identité au moment de l’adolescence. Ces deux films loin de s’opposer nous conduisent à mieux comprendre la réalité des jeunes chiliens.
Daniel Pinós
Sortie le 28 mars
Durée : 1h 26
Voir la bande-annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=HSyox7-5u8o