Cinéma : “Candelaria”. Dans les décombres d’un rêve. L’amour contre l’adversité et la vieillesse

Le nouveau film de Jhonny Hendrix Hinestroza, Candelaria, sortira dans les salles françaises le 4 avril prochain. L’histoire se déroule dans le Cuba des années 90… Candelaria et Victor Hugo, 150 ans à eux deux, vivent de bric et de broc jusqu’au jour où Candelaria rentre à la maison avec une petite trouvaille qui pourrait bien raviver la passion de leur jeunesse…

La 14e édition des Journées des Auteurs de la 74e Mostra de Venise s’est conclue sur une explosion d’émotion, et quelques larmes, autour de la victoire de Candelaria du Colombien Jhonny Hendrix Hinestroza, qui a remporté le premier prix de la section autonome, le GdA Director’s Award. Son film se passe à Cuba pendant la “période spéciale”, au milieu des années 1990, alors que l’embargo était plus sévère que jamais. Ses héros sont un merveilleux couple de septuagénaires qui, au crépuscule de leur vie, redécouvre l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre, et la passion qui va avec.« Au cours des années 90, la Colombie traversait une période de turbulences marquée par l’instabilité politique et le trafic de drogue. Avec la femme que j’aimais, on voulait s’installer alors à Cuba et appeler notre futur enfant Candelaria » explique Jhonny Hendrix Hinestroza.

Ce film doux, est un trésor d’émotion et d’humanité qui repose sur l’interprétation de ces deux acteurs dont la routine et la vie sexuelle est bouleversée. Amusant, scandaleux, touchant, Candelaria devrait vous séduire par la délicatesse avec laquelle il traite de la sexualité au troisième âge, par la musique et les couleurs cubaine, et par la joie de vivre qui émane de tout le film.

Le film repose sur deux personnages mariés, Candelaria et Victor Hugo, interprétés avec sensibilité et complicité par les Cubains Veronica Lynn et Alden Knight. Le réalisateur pénètre leur maison, où les murs qui s’effritent et où on dîne à la chandelle non pas par romantisme, mais parce que l’électricité est rationnée à la Havane. On voit leur vie qui s’écoule, monotone, entre les repas frugaux et autres privations, les cinq petits poussins qu’ils traitent comme leurs enfants, les concerts que donne Candelaria comme chanteuse dans un bar pour touristes et les cigares volés que Victor Hugo vend en cachette pour pouvoir acheter de la viande de temps en temps. Et puis un jour, un caméscope, probablement laissé là par un étranger, vient troubler la routine du mari et de sa femme. Que faire ? Le rendre, le revendre ou garder cet objet prohibé ?

Au moment même où il semble avoir atteint le coeur de son récit – le jeu malicieux dans lesquel se lancent les deux vieux amants grâce à la présence chez eux de cette caméra, qui réveille chez eux une passion qu’ils n’attendaient plus –, Hendrix Hinestroza nous propose un autre scénario surprenant où le couple se voit faire une proposition indécente par un receleur sans scrupules (incarné par l’Autrichien Philipp Hochmair). Alors, la question change : qu’est-on disposé à faire pour avoir une vie un peu plus confortable ? Et quand le moment vient-il de s’arrêter ?

Amusant, scandaleux, touchant, Candelaria séduit par la délicatesse avec laquelle il traite de la sexualité au troisième âge, par la manière dont il met à nu (littéralement et figurativement) la vie d’un couple de septuagénaires obligés de vivre d’expédients, par ses gros plans émouvants, par la musique et les couleurs de Cuba, et par l’exceptionnelle joie de vivre qui émane de tout le film. Une histoire privée où le contexte socio-politique est discrètement présent (on entend la radio, on perçoit des manifestations dans la rue) mais se concentre avant tout sur un grand amour, et nous montre qu’il est possible d’être merveilleusement léger, même à soixante-dix ans.

Candelaria est une coproduction entre la Colombie, l’Allemagne, la Norvège, l’Argentine et Cuba (entre Antorcha Films, Razor Film Produktion, Dag Hoel, DHF Pucará Cinema, Fidelio Films, Producciones de la 5ta Avenida et Fundación La Manada). Les ventes internationales sont assurées par Beta Film.

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Candelaria : entretien avec Jhonny Hendrix Hinestroza, le réalisateur

Comment est né le projet de Candelaria ?
C’est une longue histoire ! Candelaria est né au moment où j’ai commencé à tourner mon second film Saudó, et c’est un peu une synthèse de mon histoire personnelle, à l’instar de ces démons qu’on cherche à exorciser d’une façon ou d’une autre à un moment particulier de sa vie…

Je savais que je voulais écrire sur la peur de vieillir, parce que depuis cinq ans environ je vois mes parents vieillir. Quand mon père, un homme qui a travaillé et s’est battu toute sa vie, est parti en retraite, j’ai senti que du jour au lendemain il basculait dans un ennui terrible et que les murs de sa propre maison l’emprisonnaient.

Depuis, je suis préoccupé par la vieillesse et c’est pour cette raison que j’ai décidé de faire un film qui traitait de cette question.

Pourquoi avez-vous décidé que la chronique aurait lieu à Cuba ?
J’ai été invité au festival de La Havane et j’y ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé de la « période spéciale» de Cuba, cette époque dont tous les habitants de l’île se souviennent très bien mais dont personne ne veut parler : les années de crise économique qui ont suivi l’éclatement de l’URSS et l’embargo américain. Ce récit m’a rappelé mon enfance sur la côte pacifique colombienne. J’ai donc décidé de réunir mon expérience personnelle et le récit cubain dans une histoire commune.

Finalement, les problèmes dans cette région sont assez semblables…
En effet. Pour moi, l’Amérique latine est une seule entité. On parle toujours de Cuba, du socialisme et de sa pauvreté ; on parle depuis peu de la crise au Venezuela, mais il suffit de regarder dans sa rue pour constater que, même si nous refusons de l’accepter, beaucoup de gens vivent dans des conditions aussi misérables en Colombie et que nos anciens meurent parfois dans une pauvreté absolue.

Et même si dans ce film c’est l’accent et la musique romantique cubaines que nous entendons, ou les danseurs de boléro que nous voyons, les problématiques abordées sont tout autant colombiennes et plus largement latino-américaines.

Cela a dû être terrible de perdre l’acteur principal en plein milieu du tournage…
Terrible ! Et on avait déjà quasiment fini de tourner. Nous avons dû changer d’acteur, recommencer à tourner les scènes… Et surtout, sa mort m’a profondément attristé : elle m’a fait éprouver la fragilité de la vie, celle qui est propre à la vieillesse. Les jeunes gens ne la ressentent pas, mais les anciens savent que leurs jours sont comptés.

Jamais je n’aurais imaginé que quelque chose emporte l’un de mes acteurs. Cela a été un véritable choc pour toute l’équipe. J’ai pleuré pendant plus d’une semaine parce que je m’étais attaché presque amoureusement à Jesús. Je l’avais adopté comme un père et nous avions construit une relation magnifique.

Et Fidel Castro aussi est décédé pendant le tournage…
Oui, et cela a été très complexe parce que l’île entière a changé brutalement. Nous avons dû changer l’organisation du tournage et cela a affecté tout le travail que nous avions mis en place avec la production. Mais malgré tout, ce tournage a été l’une de mes expériences les plus belles et les plus enrichissantes. Cuba est finalement devenu un personnage à part entière dans le film, davantage sonore que visuel d’ailleurs.



Enrique   |  Culture, Politique, Société   |  03 6th, 2018    |