Cuba : éducation gratuite ?
Chaque fois qu’il est question de l’interdiction totale des libertés les plus élémentaires propre à toute dictature, il se trouve invariablement un stalinisé d’hier et d’aujourd’hui, dès que le mot « Cuba » est écrit ou prononcé, pour répliquer « gratuité des soins, de la culture et des activités sportives ».
Outre l’indécence qui consiste à justifier l’absence de liberté par l’accès à certaines activités gratuites, sorte de compensation en quelque sorte, il reste évidemment à s’interroger sur cette prétendue gratuité, de voir ce qu’il en est réellement, ce que ne sauraient faire les récitants du catéchisme communiste, là-bas comme ici.
Or les témoignages qu’il a été possible de recueillir, tant auprès des nombreux Cubains ayant fui le « paradis » castriste que parmi ceux qui vivent sur l’île et prennent le risque de s’exprimer, montrent que les Cubains sont plutôt confrontés à une gratuité… coûteuse.
Voici, par exemple, le témoignage d’un père de deux enfants, qui relate avec précision et humour ce qu’il en est exactement.
Nous les hominidés qui vivons sur cette terre savons que l’éducation est gratuite à Cuba. Je le sais parce que j’ai pu entendre l’Invaincu Commandant l’affirmer quelque 272397 fois (si je ne me suis pas trompé, ce qui ne peut être le cas puisque mon éducation fut gratuite).
C’était mon hobby de compter ses affirmations cadencées quand il nous charmait avec des interventions simultanées sur toutes les chaînes de télévision durant trois ou quatre heures instructives, durant lesquelles nous nous informions de tout le bien dans lequel nous vivions ; je me souviens de cette nuit glorieuse où il nous parla du coût des entrées à la LMB [1] ; avec une seule de ces entrées on pouvait se payer un siège pour l’année dans la Serie Nacional [2], disait-il. Quelle vérité, mon Dieu… euh… je veux dire, mes compatriotes !
Cette addiction juvénile aux discours du loquace Lider m’a convaincu de deux choses : premièrement, que lui personnellement payait notre éducation de sa poche et nous demandait seulement une fidélité absolue ; deuxièmement, qu’il n’y a que dans le communisme que les parents n’ont pas à payer directement l’éducation de leurs enfants. Par la suite, j’ai découvert qu’il n’en allait pas exactement ainsi, mais je crois que le Commandant, le pauvre, est mort en y croyant encore.
Cependant, personne ne prêtait attention à ces réussites révolutionnaires. Ma génération a profité d’activités sportives, de l’apprentissage de langues, de lieux de grandes vacances comme Tarará, tout gratuit, mais cela n’était pas valorisé, l’être humain est très peu reconnaissant, surtout l’homme nouveau socialiste.
Désormais ce sont mes enfants qui profitent de ces avantages gratuits de la Révolution.
Le garçon est en quatrième grade, il a déjà eu sept institutrices, toutes gratuites et presque toutes pouvaient écrire sans faire de fautes d’orthographe… Noooon, j’exagère. Plus sérieusement, quelque chose me dit que le niveau a un peu diminué, cette année mon fils a appris que Hatuey [3] a lutté pour libérer Cuba, il l’a appris de la bouche de sa septième institutrice, une licenciée, Yurysleysys .
Une des institutrices a ouvert une petite école, une espèce d’académie privée où l’on fait du rattrapage pour les enfants le soir. Comme l’éducation continue d’être gratuite mais que la qualité… nous les parents nous sommes pointilleux et nous l’envoyons dans cette petite école trois heures par semaine pour qu’il apprenne les bases, ce qui coûte 250 pesos par mois.
Mon épouse et moi sommes des embourgeoisés et nous faisons faire deux activités sportives à notre fils, les échecs et les arts martiaux, quatre heures par semaine au total, qui nous coûtent chacune 250 pesos.
Ma fille est encore en âge préscolaire. Que Marx la bénisse, nous disposons d’un Centre pour enfants gratuit dont nous n’avons guère profité. Il a fermé en février dernier à cause d’un problème de salle de bains, puis rouvert en août après que l’Etat a effectué la réparation gratuitement, ce délai s’expliquant par le manque de moyens dû au blocus.
Ensuite il y eut le cyclone Irma. Les dégâts furent minimes mais les arbres alentour sont tels que si tu les regardes ils tombent. Intelligemment, on l’a donc fermé à nouveau en septembre jusqu’à ce que l’efficace et gratuit Pouvoir populaire puisse coordonner l’envoi d’hommes pour élaguer les arbres.
Pour être juste, l’Etat ne nous a pas abandonnés, il nous a octroyé une place dans un autre centre, sauf qu’en distance nous passions de trois cents mètres à plus de trois kilomètres, faute de places plus proches, mais comme nous sommes des gens mal élevés cela ne nous a pas plu et nous avons décidé de confier à nouveau notre fille à la dame qui s’occupait d’elle avant son entrée au centre pour enfants, ce qui nous coûte 250 autres pesos par mois.
Comme notre fille est une petit Cubaine charmante, nous l’avons placée dans une académie d’initiation artistique. Vous ne savez bien sûr pas combien ça coûte ? Oui, 250 pesos !
A cela, ajoutons le surplus alimentaire que nous donnons à notre fils, parents névrosés qui souhaitent bien le nourrir. Ce renfort tourne autour de 20 pesos par jour entre le goûter et les protéines pour le déjeuner, ce qui fait 400 pesos en plus.
En additionnant, ce que je sais faire car je l’ai appris gratuitement, l’éducation gratuite de mes enfants coûte, sans entrer davantage dans les détails, quelque 1900 pesos par mois.
L’éducation est gratuite, mais mon épouse déséquilibrée et moi dépensons en elle quasiment quatre fois le salaire mensuel d’une institutrice du primaire.
Je tremble à l’idée que ma fille va bientôt commencer le cours primaire gratuit, nous atteindrons alors cinq fois le salaire cubain moyen, et cela en vivant dans un quartier de la classe moyenne basse, et bien basse.
Que vivent la Révolution et ses chers avantages gratuits !
Repatriado
(traduction : Floréal Melgar)
PS : Tout ce qui est exposé ici, et que vous avez lu gratuitement, est vrai, excepté le nom de l’institutrice. Nous avons choisi de ne pas vous le dire, pour le temps qu’elles restent.
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[1] LMB : Ligue majeure de baseball nord-américaine (Major League Baseball).
[2] Serie Nacional : ligue de baseball cubaine.
[3] Hatuey : voir Wikipédia.
Source : Havana Times.