Nouvelle arrestation !
Osmel Ramírez Alvarez, producteur dans une coopérative agricole de tabac de Mayari (Cuba) et collaborateur du blog libre « Havana Times », a été arrêté dans la soirée du vendredi 10 novembre, ont annoncé des membres de sa famille. Son ordinateur et d’autres objets lui appartenant ont été saisis. On ignore pour le moment dans quel local de la police ou de la Sécurité d’Etat il est détenu, ni le motif de son arrestation.
Depuis quelques mois, Osmel Ramírez Alvarez faisait l’objet de menaces de la part d’agents en civil qui lui ont conseillé de cesser d’écrire pour faire connaître ses opinions.
Le 15 août dernier, Osmel Ramírez Alvarez écrivait l’article qu’on peut lire ci-dessous, alertant sur ces menaces qui aujourd’hui ont été mises à exécution.
On peut saluer le courage de cet homme pour, entre autres, ce qu’il écrit à la responsable du Parti communiste local et qui n’est sans doute pas étranger à sa situation du moment, très inquiétante en pays dictatorial.
Ma réponse à une dangereuse menace
A Cuba, tout acte en faveur d’un changement, perpétré hors du cadre officiel, est un acte dissident. Peu importe qui écrit, que tu sois sympathisant des méthodes violentes de Posada Carriles*, avec l’Ecole de Chicago ou un socialiste démocrate. Le système ne fait aucune distinction, celui qui n’applaudit pas est un ennemi.
J’ai reçu le premier signal d’intimidation de la part de la Sécurité d’Etat par l’intermédiaire de ma famille, à travers une menace d’emprisonnement. Apparemment, même si je ne commettais aucune violation de la loi, « dans ce que [je faisais] il y aurait des preuves de mes délits et ils peuvent [m]’emprisonner ».
Il convient de préciser que mon travail de journaliste et la divulgation, au sein de ma communauté, de mes idées démocratiques et réformistes au sein du socialisme m’ont valu beaucoup de sympathie et d’appui. Et cela malgré l’image qui est donnée de moi de faire un travail souterrain, en me taxant d’« opposant », « dangereux » ou « contre-révolutionnaire », qualificatifs très méprisants de la part de la propagande officielle à Cuba.
Dans la coopérative où je travaille comme producteur de tabac, les employés insistent depuis des années pour que j’en sois le président. Mais l’ANAP (Association nationale des petits agriculteurs), sur ordre du Parti et de la Sécurité de l’Etat, l’empêche. En 2013, j’étais déjà candidat, alors même que l’ANAP m’en avait convaincu, mais très vite ses dirigeants se réunirent mystérieusement avec ces organismes, et ils décidèrent de suspendre le vote. Ils nommèrent alors président, « provisoirement », une personne peu préparée, tout en contraignant les paysans qui demandaient que je le sois.
Le 17 décembre 2014, le vote devait finalement avoir lieu, et je fus de nouveau massivement proposé pour être candidat. Refuser cette proposition me coûta beaucoup de travail. Mais l’ordre était qu’on ne me permette d’assumer aucun poste de direction ou de responsabilité au sein de la communauté. On m’ôta donc de la liste des candidats, en prétextant que j’étais un opposant. Sans figurer sur cette liste, j’obtins six votes de paysans qui prirent l’initiative d’écrire mon nom sur les bulletins et de mettre une croix devant.
Il aurait pu y avoir un grand débat sur cet épisode aberrant ce jour-là, mais le hasard le fit correspondre avec l’annonce simultanée d’Obama et de Raoul Castro sur le rétablissement des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Cette nouvelle transforma l’événement en fête, peu propice à la tenue de ce débat.
La coopérative connaît de sérieux problèmes de fonctionnement et les comptes sont très obscurs, avec de graves soupçons de corruption. L’ANAP, le Parti communiste et le gouvernement le savent, mais ne se risquent pas à faire quelque chose, de peur qu’en révélant ces problèmes la masse paysanne veuille m’imposer, ce qui est impensable pour eux. Et pour cela, ils font tout pour maintenir cette situation de désastre actuelle. Ils empêchent aussi que les paysans créent une commission pour la vérification des finances collectives, uniquement par crainte que j’en fasse partie. Pire que cela, désormais ils craignent que les habitants me désignent comme candidat délégué du Pouvoir populaire et ils font tout pour que cela n’arrive pas, comme ils l’ont affirmé lors d’une d’une réunion des « facteurs révolutionnaires » en cette fin de semaine.
Après la menace d’emprisonnement, j’ai cru prudent et opportun d’envoyer une lettre à la première secrétaire du Parti communiste de Mayari, Estrella Maritza Segura, exposant clairement ma position. En voici les idées les plus importantes :
« Je suis un socialiste qui croit en la démocratie directe et à la pluralité politique. Je ne partage pas, ni ne crois socialiste, le concept du parti unique signifiant l’unité nationale, (…) bien que notre gouvernement ainsi que nos lois se fondent sur cette croyance unitaire monopartidaire.
Moi, comme beaucoup d’autres à Cuba et comme la majorité dans le reste du monde, je pense différemment. Comme citoyen cubain j’ai le droit d’avoir des idées différentes des idées officielles, à espérer également que notre système politique soit meilleur et fonctionne mieux. Malheureusement, il n’existe pas de mécanismes clairs et vraiment effectifs dans nos lois et dans notre système politique qui permettent qu’on puisse présenter de nouvelles idées, de les discuter publiquement et de parvenir à un consensus majoritaire.
Il n’est pas en mes possibilités, ni en celles du peuple, de faire quoi que ce soit. Selon la Constitution, seuls le Parti communiste et le Parlement, à travers les organes de pouvoir de l’Etat, que nous savons en vérité n’être que ce même Parti communiste, puisqu’il est unique, eux seuls donc possèdent le pouvoir souverain à Cuba et peuvent décider ce qui doit être changé, et quand.
Pour cela, et en l’attente de temps meilleurs, où chaque citoyen pourra faire entendre sa voix et donner libre cours à ses idées pour un pays meilleur sans que cela soit un délit, il me reste seulement à espérer et essayer d’être utile malgré tout.
Mes écrits sont l’expression de la réalité, et en eux se trouvent également mes réflexions personnelles. (…) Ce sont mes idées et je les écris et partage avec qui peut les lire et en débattre. Internet est libre et ici personne n’interdit rien pour des raisons politiques. Malheureusement je ne peux publier mes écrits dans les médias de Cuba car ils sont tous officiels quand ils devraient être au service d’un débat national divers, critique et fécond, et non seulement apologétique.
Pardonnez-moi si en écrivant je vous dérange. C’est le moins que je puisse faire. Renoncer à cela équivaut à perdre ma dignité. J’ai le droit d’avoir des idées, de les écrire et de les partager. Je ne viole aucune loi, j’use seulement d’un de mes droits humains les plus élémentaires après mon droit à la vie.
Bien sûr que je crains tout le pouvoir que vous détenez et le fait que vous puissiez, si vous le voulez, m’emprisonner injustement, m’appliquer n’importe quelle loi arbitraire et me faire disparaître du paysage. Mais c’est là un risque que je dois courir et sincèrement, comme José Marti, « j’ai foi en l’amélioration humaine et en la vie future ». J’espère que vous ne commettrez pas cette folie.
Ma bataille d’idées est aussi en votre faveur. (…) Parce qu’un Cuba meilleur doit bénéficier à tous, et non à un groupe politique particulier. »
Beaucoup croient qu’une lettre pareille est inutile, mais de mon point de vue je la crois féconde.
Osmel Ramírez Alvarez
Traduction : Floréal Melgar
Publié sur le blog de Floréal : https://florealanar.wordpress.com/2017/11/11/cuba-nouvelle-arrestation/
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* Posada Carriles : militant anticastriste en lien avec la CIA et à l’origine, entre autres, de plusieurs attentats commis à La Havane en 1997.