Deux coups de feu et une piste stalinienne. Le meurtre de Julio Antonio Mella, qui s’était rapproché des trotskistes, n’a jamais été totalement élucidé.
Deux coups de feu et une piste stalinienne. Le meurtre de Julio Antonio Mella, qui s’était rapproché des trotskistes, n’a jamais été totalement élucidé.
Le cas Mella n’a jamais été totalement résolu. Robert D’Atillio, un Bostonien d’une soixantaine d’années d’origine italienne, ardent défenseur des squatters de sa ville, historien et poète un brin anarchiste, passionné de photo et de Tina Modotti depuis son adolescence, spécialiste de l’époque (il travaille depuis plusieurs années à un livre sur l’affaire Sacco et Vanzetti), a souvent émis des doutes sur la version officielle. Pour lui, la responsabilité du dictateur cubain Machado dans le meurtre du jeune espoir du communisme latino-américain n’est pas la seule piste à envisager. Dans un colloque organisé en novembre 1996 à l’université de San Diego pour le 100e anniversaire de Tina Modotti, il a rappelé qu’à la fin de sa vie Mella n’était plus en odeur de sainteté au sein du mouvement.
«La machine à écrire». Pour sa démonstration, D’Attilio part d’une photo. Tina Modotti a réalisé deux portraits de Mella. Le premier, de profil, est du genre héroïque. Le second est symbolique. On l’a longtemps appelé la Machine à écrire de Julio Antonio Mella. On y voit en effet une machine à écrire et une feuille de papier blanc. Elle est censée représenter le combat de publiciste du Cubain contre l’impérialisme. En fait, ce titre lui a été donné non par Tina Modotti mais bien des années plus tard, dans les années 70, par Vittorio Vidali, le communiste italien qui sera le dernier compagnon de Tina. Il a aussi dit que ce cliché avait été pris juste avant la mort du jeune homme. Cette information est fausse. On sait aujourd’hui que cette machine a été cadrée quelques mois avant le drame.
Sur le tirage donné par Vidali, la feuille blanche engagée dans le rouleau de la machine à écrire est en quelque sorte aussi un faux. D’autres tirages du négatif original ont depuis permis de voir qu’il y a des mots inscrits sur le papier. Et ces mots ne sont pas n’importe lesquels: ils sont tirés d’un texte de Trotski sur la technique.
Du coup, D’Attilio se pose une question. En 1929, c’est-à-dire au moment où dans le Komintern l’ancien chef de l’armée Rouge commence à être désigné comme l’ennemi à éliminer, Mella est-il favorable à Trotski?
Deux fois exclu d’un PC. En fait, à cette question, il y a des réponses dont les sources sont avérées. En 1928, Mella a des problèmes avec l’Internationale . Entre 1926 et 1929, il a même été deux fois exclu d’un PC. D’abord du PC cubain en 1926, puis du PC mexicain en 1928. Cette deuxième exclusion a été soigneusement cachée après son assassinat.
Le PC mexicain lui reproche de revendiquer trop d’indépendance pour les PC latino-américains et d’être lié avec les animateurs de ce que l’on va appeler l’opposition de gauche à Staline (les trotskistes). Il a, par exemple, noué des liens avec le Catalan Andres Nin, qui sera plus tard, pendant la guerre civile espagnole, assassiné par les Soviétiques. Peut-être Mella a-t-il même commencé à organiser une opposition à la politique de Staline en Amérique. En un mot, il est suspect.
A San Diego, en 1996, D’Attilio évoque des courriers de dirigeants du PC mexicain, notamment de l’Italien Vittorio Vidali, agent de l’Internationale communiste. Ils disent être en mesure de «régler» le problème Mella. De quelle manière? Victor Alba et Julian Gorkin, historiens espagnols et ex-dirigeants du Poum, un parti espagnol marxiste et antistalinien, pensaient que Mella était trop charismatique pour ne pas poser de gros problèmes au Komintern. Il aurait été liquidé par un agent double travaillant à la fois pour Machado et pour Vidali, pour la droite et les communistes. L’ex-agent secret soviétique José Vives a même donné le nom du contact de Vidali auprès de cet agent, il s’appellerait Aurelio Randulfo Garcia (1).
Célébré à Cuba. Certains auteurs ont paru réservés sur cette hypothèse, se demandant si, en 1929, Staline pouvait déjà projeter une telle opération. L’historien français Pierre Broué est convaincu que oui. La question reste posée. A Cuba, Mella est toujours célébré aujourd’hui comme un géant du communisme, sans que l’on cite jamais ses désaccords profonds ni a fortiori ses exclusions. Et les archives des services secrets soviétiques restent désespérément closes sur ce sujet.
(1) Pierre Broué, Histoire de la IIIe Internationale, Fayard.
Edouard Waintrop
Libération, le 22 juillet 1999