Les 33 révolutions de Canek Sanchez Guevara
Littérature. Le petit-fils du Che, décédé l’an dernier, nous offre un récit envoûtant comme une chanson triste.
Soyons honnête! Un roman signé par le petit-fils du Che retient forcément l’attention. Très vite, toutefois, le voyeurisme un brin malsain – l’auteur est mort à 40 ans à Mexico, des suites d’une opération du cœur – s’efface devant le plaisir de la lecture. En 33 révolutions, comme celles du vinyle rayé qui sert de fil rouge au récit, Canek Sánchez Guevara nous emmène à Cuba, dans un «univers qui n’en finit pas de s’effondrer avec fracas».
Son roman n’est pas bien épais, à peine plus de 80 pages complétées par quelques extraits d’autres textes et une interview. Elles suffisent à nous faire partager jusque dans sa moiteur et son parfum de rhum frelaté le quotidien mélancolique et les désillusions d’un Noir trentenaire qui voit tous ses concitoyens peu à peu prendre la mer sur des embarcations de fortune.
«Le pays entier est un disque rayé», annonce le narrateur en préambule. Lui-même vit dans un appartement qui prend l’eau. Il aime la musique, la philo et l’histoire, mais il a fait des études d’ingénieur. Il travaille au ministère, un boulot «ennuyeux mais propice à la lecture». Il se nourrit dans une cantine où le plateau réglementaire a des allures de tableau abstrait: «Le cercle de potage, le carré de riz, le rectangle de patate douce, le verre dans son support circulaire et les couverts dans la rainure.» Son mariage a été un échec. Parfois, pour se sentir moins seul, il monte retrouver la Russe du neuvième étage. Tout cela va mal finir, on s’en doute.
Sur les traces de son grand-père
33 révolutions est un roman étrange, une succession de petits récits aigres-doux que l’on achève avec l’envie d’en savoir plus. De l’homme lui-même, on apprend alors qu’il est né en 1974 à La Havane et qu’il a ensuite suivi ses parents, militants d’extrême gauche, dans leurs déplacements à travers le monde, de Mexico à Barcelone en passant par l’Italie. Ecrivain, musicien, photographe, graphiste, anarchiste et fan de rock, Canek Sánchez Guevara a notamment publié des chroniques de ses voyages sur les traces du Che dans Le Nouvel Observateur.
Interviewé pour Le Monde Libertaire, il déclarait en 2005, à propos de cet illustre ancêtre: «Je ne pense pas à Ernesto Guevara comme s’il s’agissait de mon grand-père. Je le lis comme je lis Marx ou Bakounine ou n’importe quel personnage historique. Il a des idées géniales et d’autres qui sont absurdes, prétentieuses, pathétiques. Je ne l’ai pas connu, je suis né sept ans après son assassinat. Ma mère me racontait certaines anecdotes de son enfance qui font qu’un lien familial profond s’est noué.»
Mireille Descombes
L’hebdo
33 révolutions de Canek Sanchez Guevara. Métailié, 2016. 112 pages. 9,00 euros.