Les transnationales (AT&T, Marriott…) débarquent à La Havane. Les Etats-Unis réaffirment leur puissance dans le continent sud-américain
La dite transition à Cuba, au moment où l’économie cubaine s’affronte à une nouvelle crise économique et sociale, s’inscrit dans des bouleversements d’ampleur en Amérique latine et dans la Caraïbe. Le chambardement, même apparemment sous contrôle aujourd’hui, est connecté avec le chaos politique et économique au Venezuela, même s’il ne faut pas sous-estimer dans ce pays l’attachement de secteurs importants de la population à des gains sociaux qu’ils veulent défendre en affirmant une autonomie face à la bolibourgeoisie et à l’opposition de droite et de droite extrême, pour l’essentiel «blanche».
Conjointement, la crise économico-politique et sociale du pays clé du continent, le Brésil, marque la fin de ce que certains ont appelé le cycle des gouvernements progressistes dans l’Amérique du Sud. Une fenêtre d’opportunité, qui a déjà été construite par Washington depuis quelques années, s’ouvre dans toute la région. L’Argentine en est un élément, au même titre que l’Equateur. L’axe américano-pacifique (vers le Pacifique) du capitalisme américain est couplé par la réaffirmation de sa présence marquée en Amérique du Sud. C’est un bouleversement des relations géopolitiques internationales, qui s’insèrent dans les conflits interimpérialistes. Le capitalisme espagnol ne sera plus aussi «conquérant» en Amérique latine qu’il le prétendait, avec un peu trop d’arrogance, à l’époque de Gonzalez, Zapatero ou Aznar. Par contre, la Chine accroît ses relations commerciales qui ont augmenté de 57% au cours des trois premiers trimestres de 2015. Et la Chine est très investie dans la construction de l’infrastructure internet à Cuba, avec sa tradition de surveillance de ce dit «réseau social». La firme chinoise Huawei d’équipement téléphonique et de cable (en plus de téléphones mobiles) est active pour assurer un accès bande large dans La Havane historique (Wall Street Journal, 18-20 mars 2016, p. A4). Tourisme oblige. La proximité géographique des Etats-Unis et de nombreux autres facteurs (diaspora cubaine à Miami, font de la Chine et de ses firmes un concurrent pas très efficace par rapport aux firmes américaines et aux institutions des Etats-Unis. (Rédaction à A l’Encontre)
D’après le Wall Street Journal du 11 mars, la compagnie téléphonique états-unienne AT&T [qui joua un rôle de pointe dans la collaboration pour le coup d’Etat de Pinochet au Chili en 1973] ainsi que les chaînes hôtelières Starwood et Marriott vont bientôt annoncer les accords conclus en vue d’investir et d’opérer à Cuba.
Le quotidien de la finance rapporte les propos de Tom Marder, porte-parole de Marriott: «Nous sommes optimistes sur le fait que nous recevrons bientôt le feu vert du gouvernement états-unien pour avoir à Cuba des hôtels avec l’emblème de Marriott.» Marder a également confirmé qu’Arne Sorensen, le président de cette chaîne hôtelière, voyagerait à Cuba du 20 au 22 mars.
A ce moment-là, le président Barack Obama, le premier chef d’Etat états-unien en poste en 88 ans à visiter Cuba, sera dans l’île. Un porte-parole de AT&T n’a pas voulu faire de commentaire sur un possible accord pour «faire du business» à Cuba. D’après le journal états-unien, on espère que AT&T signera bientôt un accord avec la compagnie étatique cubaine de télécommunications ETECSA, pour proposer des services de roaming (connexion interréseaux internationale) dans l’île. D’après ce même journal, les deux compagnies sont actuellement en pleine négociation.
Suite à l’annonce en décembre 2014 du dégel des relations entre Washington et La Havane, des compagnies états-uniennes ont manifesté un vif intérêt pour établir des accords commerciaux avec Cuba. Pour le moment, seules quelques rares entreprises ont effectivement signé des accords, dont notamment Airbnb pour la location d’appartements et de maisons particulières pour le tourisme; la compagnie téléphonique IDT [spécialisée dans la programmation, le cloud, etc.]; et les importantes compagnies de téléphones cellulaires Sprint et Verizon qui offrent déjà un service de roaming dans l’île [l’ouverture communicationnelle encore plus forte et, heureusement, Granma ne sera plus le seul quotidien à disposition des Cubains, un quotidien que Fidel Castro, dans le premier documentaire-reportage sur Cuba fait par une grande chaîne de télévision brésilienne au milieu des années 1980, disait ne pas lire car on n’y apprenait rien – verbatim].
On espère qu’au cours de cet été (boréal), l’administration Obama annoncera que les compagnies aériennes pourront proposer dès l’automne (boréal, au nord de l’Equateur) des vols commerciaux directs à Cuba. On espère également qu’un service direct de ferry reprendra bientôt entre les côtes de la Floride et Cuba, mais pour cela il faut encore le feu vert des autorités cubaines.
Les Etats-Unis et Cuba ont renoué des relations bilatérales en juillet 2015, après plus d’un demi-siècle d’interruption et d’affrontement idéologique. Mais même si Obama a flexibilisé l’embargo, celui-ci reste toujours en vigueur. Le président a demandé à plusieurs reprises au Congrès, qui est contrôlé par les républicains, que l’embargo sur Cuba soit levé, mais cela n’a pas encore été fait. Les experts assurent qu’il n’y aura pas de normalisation des rapports entre les deux pays tant que Washington n’aura pas levé l’embargo sur l’île.
Pour sa part, Ben Rhodes, conseiller adjoint de la Sécurité nationale de la Maison-Blanche, qui est actuellement en visite à Miami [base historique des anti-castristes, mais l’attitude majoritaire des nouvelles générations s’est modifiée, aussi bien à partir des liens avec leur famille – envoi d’argent – que suite à leur possibilité de visiter l’île et d’envisager des initiatives économiques] en prévision du voyage officiel du président Barack Obama à Cuba les 21 et 22 mars, a assuré que les Etats-Unis et les opposants cubains «veulent la même chose».
Ben Rhodes a assuré qu’aussi bien le gouvernement des Etats-Unis que les groupes de l’opposition à Cuba et à Miami ont les mêmes objectifs de démocratie, de liberté et de respect des droits humains dans l’île, ce malgré «des différences dans le degré d’ardeur, à cause de leurs expériences». Le haut fonctionnaire états-unien a participé à un forum d’étudiants avec le groupe cubano-étatsunien de jeunes professionnels Roots of Hope avant de se rendre à plusieurs réunions avec des exilés et des entrepreneurs cubano-étatsuniens.
Le conseiller de la Maison Blanche a expliqué que les changements à Cuba seront faits par les Cubains eux-mêmes [sic] et que le gouvernement états-unien n’est qu’un «facilitateur» de cette transition. Il a également redit l’engagement d’Obama en ce qui concerne la démocratie et les droits humains dans l’île. Rhodes a ajouté que la normalisation des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis offre une opportunité pour que la situation des droits humains dans l’île s’améliore, pour l’ouverture commerciale et pour une augmentation de la connectivité [AT&T, Verizon…], entre autres. Il a expliqué qu’Obama allait rencontrer pendant son voyage des personnes de l’opposition choisies par le gouvernement états-unien. Il a souligné que le mouvement d’opposition Damas de Blanco (Femmes en Blanc) est le genre d’organisations auxquelles l’ambassade états-unienne à La Havane allait envoyer des invitations, même s’il n’a pas confirmé qu’ils l’avaient déjà fait.
(Traduction A l’Encontre, publié dans Pagina 12, le 12 mars 2016)