Rencontre à Toulouse avec des libertaires cubains

Le 15 juin, à Toulouse, nous avons rencontré deux camarades du groupe Alfredo Lopez de La Havane ; le groupe est lié à la Fédération Anarchiste d’Amérique centrale et de la Caraïbe ; un seul camarade a pu participer au congrès fondateur, l’Etat cubain ayant refusé les autorisations de sortie du territoire. Il n’y a aucun contact avec d’éventuel-les libertaires sur le reste de l’Ile cubaine. Ils et elles s’inscrivent dans un cadre plus large, l’Observatoire critique cubain (1), dans lequel se retrouvent des associations de luttes, féministes, écologistes, antiracistes, LGTB, etc.

La répression et le contrôle politique demeurent des marques de fabrique du régime cubain ; dans la période, cela se concentre surtout sur la droite réactionnaire extrêmement agressive envers le castrisme. Le groupe libertaire parvient, tant bien que mal, à éditer quelques tracts, malgré la pénurie de papier et l’accès très difficile à Internet ; quelques apparitions publiques ont été réalisées, notamment lors du Premier mai.

La réalité cubaine à l’heure de la normalisation avec les Etats Unis

Le peuple cubain attend avec enthousiasme cette nouvelle situation et porte de sérieux espoirs dans l’amélioration du niveau de vie. Depuis l’arrivée au pouvoir de Raoul Castro il y a eu une l’ouverture d’un secteur privé (composé de petites et moyennes entreprises notamment de tourisme) et des licenciements massifs de fonctionnaires dont l’âge de départ en retraite a été relevé. Les conventions collectives, le code du travail ont aussi été remis en question. Dans le privé, le contrat de travail peut être simplement oral. De fait, une classe moyenne de petits patrons exploiteurs est en train d’émerger mais rien de bon pour le droit des travailleurs et travailleuses de ces nouvelles entreprises. Toutes ces décisions sont prises avec l’aval du « syndicat » unique qui n’est que la courroie de transmission du pouvoir castriste.

La population noire qui avait eu socialement une nette amélioration de ses conditions avec la révolution cubaine risque à nouveau de régresser socialement. Si le racisme reste très marginal, on sent quand même un retour à des discriminations importantes ; il arrive, même si c’est encore marginal, de voir afficher dans des commerces la mention « cherchons à embaucher une serveuse de race blanche ».

Au début de la révolution la majorité de la population était rurale. Un exode rural important a été plus ou moins autoritairement organisé. Non seulement les campagnes ont été abandonnées mais par cette politique de promotion urbaine, Cuba n’est plus autosuffisant en production agricole locale. Il ne reste actuellement que 10% de petits producteurs et productrices, quand 50% des terres sont accaparées par de grandes propriétés d’Etat. Des terrains de golf ‘poussent » dans toute l’île y compris dans des réserves sauvages et les populations locales sont expulsées sans ménagement. Le partenariat privilégié avec le Venezuela n’a pas eu que des aspects positifs : les pesticides sont venus en même temps que l’essence fournie par celui-ci. Il faut donc relativiser la propagande officielle qui présente l’agriculture cubaine comme entièrement écologique.

En ce qui concerne les affaires, aussi bien en agriculture que dans l’industrie ou le commerce, il y a une verticalité des commandes qui fait que même des structures « autogérées » sont à la merci des institutions étatiques. D’autre part, la caste étatique est prédominante dans les nouvelles sociétés d’économie mixte.

Qui gouverne économiquement le pays ?

Ce n’est pas l’appareil du parti unique, qui est plutôt un réseau de collaboration et de contrôle social, qui est le grand gagnant de la libéralisation économique ; ce n’est pas vraiment la haute caste de l’appareil d’Etat, même si des individualités peuvent s’être rapidement enrichies. C’est avant tout l’appareil militaire qui tire les marrons du feu. Les militaires sont le pilier du système castriste et le garant de la « paix sociale ». Ils peuvent, en toute impunité, se saisir d’avantages pécuniaires en contrôlant le système économique, ce sont les principaux entrepreneurs du pays. Des retraités de l’armée accèdent aux commandes d’entreprises, placés là par la hiérarchie militaire. Si l’Etat a été le grand promoteur du capitalisme local, aujourd’hui, on peut qualifier le système politico économique de « capitalisme militaire ».

Conclusion

Lors des années terribles (2), la jeunesse actuelle avait une dizaine d’année. Elle a mal vécu cette extrême pauvreté. Leurs parents ont connu le début de la Révolution cubaine avec tout l’engouement de la population durant cette période. Cette génération plus âgée reste nostalgique de la période révolutionnaire qui a amené de réelles avancées pour la population la plus défavorisée, notamment la population noire. La jeune génération traumatisée associe la Révolution à la Période Spéciale. Ce que l’impérialisme américain n’a pas réussi à faire par le blocus, il est en train de le gagner par l’ouverture au libéralisme économique !

Texte publié sur le bulletin n°1 de la commission internationale d’Alternative libertaire

http://www.alternativelibertaire.org

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1. www.observatoriocriticocuba.org

2. La «Période Spéciale » date des années 1990, c’est un moment accru de l’embargo américain qui a suivi la désagrégation de l’URSS. Le pays a connu à ce moment une baisse terrible du revenu pour les habitant-es de l’île frôlant même avec des périodes de disette. C’est le Venezuela de Chavez dans les années 2000 qui a redonné un coup d’oxygène à Cuba.


Enrique   |  Actualité, Politique   |  08 26th, 2015    |