La société civile « socialiste » au Sommet des Amériques
Ce texte a été publié par Letras libres peu de jours avant le Sommet des Amériques qui vient de se dérouler au Panama. Le président américain Barack Obama a rencontré vendredi dernier plusieurs dissidents cubains peu avant l’ouverture au Panama du Sommet des Amériques, lors duquel il a eu des échanges historiques avec son homologue cubain Raul Castro.
Ces dissidents cubains ont été vivement invectivés mercredi dernier par une centaine de militants pro-castristes à leur arrivée à un Forum de la société civile. Aucune opposition légale n’est autorisée à Cuba et les autorités considèrent généralement les opposants comme des mercenaires au service des États-Unis.
En considérant leur possible participation et son incidence sur le sommet des Amériques, cela vaut la peine d’identifier certaines des organisations sociales cubaines alliées au gouvernement.
La « société civile socialiste » a sa base dans les soi-disant «organisations de masse [1]», complètement subordonnées et fidèles au gouvernement : comme la Fédération des femmes cubaines (FMC), les Comités de défense de la révolution (CDR) et la Central des travailleurs de Cuba (CTC).
Dans tous les cas, il s’agit d’organisations qui partagent le modèle léniniste de participation verticale et d’autonomie restreinte encadrant des pans entiers de la population et développant des objectifs politiques contestables comme la mobilisation et le contrôle des citoyens, mais aussi des tâches communautaires positives : les dons de sang, la collecte des matières premières recyclables, l’assainissement des quartiers, etc. Bien que ces organisations ne font preuve que de très peu d’initiative et que leur discours a vieilli en parallèle à celui de l’état, leur couverture territoriale et sociale les convertit en des acteurs à considérer dans toute tentative de dialogue et de transformation à Cuba d’aujourd’hui.
Le développement de cette société civile demeure séquestré par les lois et les institutions. Depuis 1997, le registre des associations du ministère de la Justice ne permet pas – amen de la régularisation de certaines déjà existantes – l’enregistrement de nouvelles organisations. En plus de celles qui sont déjà reconnues, a été établi un « organe de relation » qui n’est rien de plus qu’un organisme d’État qui surveille et supervise votre travail. Pour couronner le tout, la représentation présumée de segments entiers de la société qu’arborent certains des associations existantes – en particulier celles de masses – devient monopolistique, ce qui joue également contre l’enregistrement de nouvelles associations de femmes, d’avocats, d’agriculteurs, etc. Des sujets sont tabous tels que les droits de l’homme et la responsabilité, ainsi le travail de la société civile socialiste brille par son absence.
Pour participer au Sommet des Amérique, le gouvernement cubain a organisé le Forum de la société civile cubaine « Penser les Amériques », avec l’intention de préparer sa société civile pour l’événement. Le Forum est décrit comme une plate-forme qui « aborde les questions liées au présent et à l’avenir de l’hémisphère » ; en plaidant pour l’amélioration, à l’échelle continentale, des droits humains, de la participation citoyenne, de la gouvernance démocratique et la démocratisation massive des médias. Revendications très louables mais aussi des principes sans cesse violés sous le régime politique de l’île.
Dans le même temps, les organisations hébergées sur cette plate-forme sont positionnés contre « les tendances hégémoniques et néolibérales en Amérique du Nord ». Sur le site les organisations membres ne sont pas mentionnées (à l’heure d’écriture ce texte, il n’y a pas de données précises sur le nombre et quelles seront les organisations qui participeront au conclave, bien que des sources au Panama ont confirmé la présence de quelque 60 organisations liées au gouvernement et environ 30 représentants d’organisations de la société civile indépendantes) et le seul soutien au forum qui apparait est le Réseau de défense des droits de l‘homme (REDH), créé par le gouvernement cubain pour des campagnes officielle de propagande et de solidarité. [2].
Le compte Twitter « Penser les Amériques » reprend les discours de la presse du Parti communiste cubain, y apparaissent des hommages à Hugo Chávez, il est proclamé que la société civile cubaine est forgée par la révolution (dans le sens du régime politique régnant depuis 1959) et le terme « société civile » est utilisé contre les opposants politiques. On peut s’appuyer sur de tels échantillons pour démontrer le niveau d’indépendance avec lequel a été créée cette plate-forme. Laquelle s’articule avec un forum parallèle au Sommet des Amériques et à ses forums sociaux dont le programme se réfère à la matrice radicale d’une certaine gauche radicale latino-américaine.
Deans ces organisations, le discours officiel, questionne la pertinence de la participation des activistes dissidents au Sommet, au motif « qu’ils ne représentent pas le peuple cubain ». Au-delà de la faiblesse de tout argument qui considére la possibilité qu’une communauté nationale puisse être représenté de manière monolithique, il est a noté que les exigences que sollicitent l’OEA pour enregistrer les organisations de la société civile comprennent des critères de représentativité, de responsabilité et de transparence financière. Des conditions qui seront difficiles à remplir pour nombre des organisations connexes au gouvernement cubain qui le représenteront au Panama.
D’autres organisations, qui sans faire face à l’ordre du jour du gouvernement cubain pourrait participer au Sommet des Amériques sont celles qui représentent des intérêts spécifiques avec un discours plus actualisé et plus autonome que les officiels. À Cuba, ils existent des entités, impulsées par des intellectuels et des artistes non-dissidents qui avec une tolérance relative de l’Etat, débattent des problèmes environnementaux, raciaux et religieux du pays. « Cuba possible » est un de ces acteurs qui travaille à la périphérie de ce que le gouvernement considère comme la société civile loyale, et dont la présence au Panama pourrait être accepté par La Havane. Fondée par d’anciens rédacteurs de la revue catholique Espace laïc, le collectif réunit des universitaires, qui maintiennent des rhétoriques coïncidant avec le gouvernement – sur des questions telles que la nature et la légitimité de l’opposition qui existe réellement – qui misent sur une ouverture politique modérée afin de promouvoir une plus grande collaboration entre le gouvernement et le secteur privé naissant et ont discuté dans plusieurs forums récents, de sujets tels que la situation des droits de l’homme et la société civile à Cuba.
Si leur inclusion dans les débats du Sommet devait se faire jour, ces acteurs alternatifs donneraient un peu d’air au spectre anquilosé de la société civile officielle, en jetant des ponts pour se mettre en relation avec leurs homologues des Amériques. Cela pourrait même faciliter une plus grande reconnaissance, au sein de l’île, du catalogue de droits potentiels exigibles par les citoyens cubains contre leur État autoritaire. Et peut-être cela obligerait les organismes assujettis au gouvernement – et ce gouvernement – à moderniser quelque peu ses perspectives, en gagnant par défaut un peu de crédibilité et d’autonomie. Mais cette tâche ne sera pas facile. Les officialistes et les alternatifs devront vaincre leurs réticences mutuelles.
Il y aune occasion sans précédent pour trouver, lors de ce Sommet de Panama, une tribune de discussion pour le débat d’idées et la reconnaissance et l’exercice des droits d’autrui. Espérons que les organisateurs – et les autres gouvernements américains, résisteront aux pressions de La Havane pour permettre l’expression, durant ce Sommet, des voix et des espaces critiques ; et que tous les participants se comporteront avec plus d’arguments et moins de méfiance mutuelle. Nous verrons quelles surprises nous réservent les jours à venir.
Armando Chaguaceda et van de Voort Sjamme
Letras libres
[1] Sur la périphérie de ce cœur associative, il ya des associations professionnelles telles que l’Union des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC) ou l’Association nationale des économistes et des comptables de Cuba (ANEC) ; aux côtés d’autres organisations qui agissent comme des organisations non-gouvernementales, certaines de type religieux : le Centre Martin Luther Kingy, le groupe Oscar Arnulfo, ou environnementale comme la Fondation Antonio Núñez.
[2] Dans un article, publié sur le blog REDH, la politique économique de l’Accord de libre-échange (ALENA) Amérique est rejetée et la création de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de Notre Amérique (ALBA) est applaudie. Dans un autre article du site est commentée la visite de Fidel Castro dans une école primaire où les élèves récoltent des signatures contre le « décret impérialiste » signé par Obama, qui anticiperaient une invasion du Venezuela.