Pourquoi j’ai été guévariste ? Pourquoi j’ai cessé de l’être ?

Il y a quelques années de ça, j’avais quelques illusions. Sur Castro, sur Guevara. Je kiffais tout ça : le fameux « romantisme révolutionnaire », la photo avec l’étoile et le regard, Cuba, le mythe. Je fantasmais sur la guérilla dans le maquis, les douze pèlerins qui fuient la mort dans les montagnes et qui finissent par déloger l’affreux dictateur avec sa sale gueule. Sur Castro, le leader authentique, le sauveur du peuple. Ouais, c’est vrai. C’est pas des conneries, j’avais même un pseudo qui était « Fidel »…S’il avait été candidat aux élections présidentielles en France, ce mec-là, j’aurais voté pour lui (à l’époque, j’avais pas fait subir de combustion à ma carte électorale, c’est venu un peu plus tard ça). Dans ma chambre, ’y avait une grande photo du Che avec son gros cigare. Merde, depuis, j’ai appris qu’il était ministre de l’Industrie quand cette photo a été prise. Ils faisaient des films de propagande, où on voyait le Che à poil, tout dégoulinant de sueur (la sueur prolétarienne bien sûr, la vraie), qui allait dans les champs pour couper la canne à sucre aux côtés des travailleurs ; d’autres fois il allait dans les ateliers pour inspecter les progrès des métiers à filer tout neufs. Il devait rien y connaître, aux métiers à tisser, mais bon, c’était le Che. Un vrai ouf le mec, l’Homme Parfait. Le sujet révolutionnaire idéal. Vous devez vous demandez ce que je fous à écrire dans un zine d’anarchos, pas vrai ?

Les bolcheviks avaient fait un film pour Cuba. Ca s’appelait « Soy Cuba » (« Je suis Cuba »). Il s’agit pas d’expier mes fautes, je tiens à le signaler, là n’est pas le but. Je trouvais ce film merveilleux, vraiment beau. A un moment, des paysans en lutte se faisaient prendre par des militaires de Batista. L’officier les interrogeait : « Où se trouve Fidel ? ». Et les paysans répondaient un à un : « Yo soy Fidel », « Yo soy Fidel »…Ca voulait dire que la révolution cubaine, c’était avant tout la révolution d’un homme providentiel, auquel tout le monde pouvait s’identifier. Sans Fidel, pas de révolution, ou alors, les paysans auraient répondu : « Yo soy El Che ». Le film avait la décence de ne pas les faire apparaître à l’écran, c’était un peu le « Comité invisible » quoi…

Sartre était allé à Cuba pour rencontrer Guevara, avec Simone de Beauvoir. A son retour au pays, il avait déclaré : « Che Guevara est l’être humain le plus complet de notre époque ». Tout un programme. Un mausolée pour lui à Santa Clara, des chants à l’école pour célébrer le modèle, le héro national ; le genre de type qui vous fait une révolution avec son seul charisme . Ca, c’est le mythe auquel je croyais, auquel plein de gens ont cru, auquel plein de gens croient encore.

Bon, les exécutions (« nécessité pour le peuple cubain ») et les camps de « réhabilitation par le travail », c’est pas marqué sur le paquet, c’est pas compris dans la formule « emblème de la révolution ». Le plus curieux, c’est qu’il n’ait jamais été associé à l’idée de Pouvoir, alors qu’il a été Gouverneur de la Banque centrale, procureur au tribunal (révolutionnaire, alors ça va), ministre…Son nom est inscrit sur les billets, c’est la classe !

Quand on admire Castro ou Guevara, on admire des images, des apparences. Le béret, la colombe qui vient se poser sur l’épaule du commandante en plein discours, le miracle. Les miracles se passent de mots, pas besoin de les commenter. Alors, qu’importent les textes, les discours, on s’en fout.

Mais il vient un temps où l’on pousse un peu plus loin la curiosité. On se contente plus de l’air sympa des barbudos en chemise ouverte, du socialisme à la cool, parce que c’est dans les îles. On recherche : au fait, qu’est-ce qu’ils pensaient de la révolution, ces gars ? Alors on commence à lire des bouquins plus étoffés, d’abord des biographies, mais forcément, on tombe sur celle écrite par l’inconditionnel de…sans rature, sans fausse note, qui rajoute simplement des mots à la glorification, qui humanise le culte de la personnalité. C’est chouette, ça entretient le rêve. Et c’est un peu gros. Donc on va voir ailleurs. Et un jour, on tombe sur ça : « Au sein de la révolution, tout ; contre la révolution, rien du tout ». C’est une phrase de Castro, dans un discours adressé aux intellectuels cubains, en 1961. Ca me disait quelque chose, comme un écho d’une phrase, construite à peu près sur le même modèle. ‘Puis j’ai retrouvé la phrase en question, la phrase originale : « Tout dans l’Etat, rien contre l’Etat, rien hors de l’Etat ». Vous reconnaissez ? Non ? Allez, je vous laisse chercher un peu…toujours pas ? Bon, je vous le dis alors. C’est la plus célèbre des citations de Benito Mussolini, sa définition du fascisme, en clair. Il faudrait être vraiment culotté pour ne pas admettre que le premier s’est inspiré du second…

Je pourrais m’arrêter là, parce que j’ai relevé pas mal de ce qui a fait que j’ai enterré bien profondément toute l’estime et l’admiration que je nourrissais pour le couple guevaro-castriste. Deux trois mots encore. Avec tout ça, il y a les photos des poignées de mains : Khrouchtchev- Castro, Guevara- Mao (combien de morts, Mao ?), Guevara- Nasser, etc.

Il y a la rhétorique anti-homosexualité, parce que l’homosexualité est contre-nature (faut se rappeler que Castro fut élevé chez les Jésuites) et contre-révolutionnaire, une passion bourgeoise, qui fait de vous des êtres anti-sociaux, aux même titre que les prostituées. Raul Castro, le frère, eu l’idée de créer des centres spéciaux pour la rééducation sexuelle des « déviants ». Ces centres furent fermés par la suite, après une campagne internationale à laquelle participa Sartre, qui devait se dire « Nan, là ils déconnent quand même » ; ce qui n’empêcha pas l’homosexualité d’être passible de plusieurs années de taule…Seules les « folles de la haute », c’est-à-dire les homosexuels des classes dirigeantes, échappaient à cette répression…vous avez dit société communiste ? ( Je vois déjà ceux qui vont me dire qu’il faut remettre les choses dans leur contexte, que la culture latino-américaine est traditionnellement machiste et homophobe, qu’aujourd’hui des lois prévoient le mariage et l’adoption d’enfant pour des couples homosexuels, ainsi que le droit de changer de sexe…).

J’ai appris aussi que pendant la crise des missiles en 1962, Castro était prêt à expédier, au hasard, une petite ogive nucléaire quelque part aux Etats-Unis, (d’ailleurs les généraux américains voulaient faire de même pour Cuba) qui aurait anéanti la vie de millions de personnes [1].

Il y a le fait que l’Etat, et donc les flics, sont omniprésents à Cuba, qu’il y a des îles réservées aux touristes fortunés, dans lesquelles les Cubains n’ont pas le droit d’aller, sauf en tant que salariés dans l’hôtellerie ou la restauration, bien entendu. Que les “guérilleros” d’hier sont les militaires en treilli d’aujourd’hui.

Tout cela, parce que « c’est soit ça, soit la contre-révolution des impérialistes yankee ».

Exactement comme ce que disent les fanatiques idolâtres de Chavez (encore un militaire) aujourd’hui : « soit tu es pour la révolution bolivarienne, soit tu es un petit bourgeois qui fait le jeu de Bush ».

Et les anarchistes arrêtés, persécutés, hier à Cuba, aujourd’hui au Venezuela ? Des petits bourgeois qui pinaillent sur des détails et qui mettent en danger la Cause Révolutionnaire, qui servent l’Ennemi, l’Empire…

En bref, un « mythe de gauche » parmi d’autres, la révolution cubaine, comme Octobre 17, comme tous les emblèmes (la droite a les siens aussi), de Lénine à Chavez, de Castro à Trotski de Guevara à Besancenot (sans rire). Des bonnes âmes, des « amis du peuple ». Qui veulent prendre le Pouvoir.

Je ne mange tout simplement plus de ce pain-là. Je ne suis plus « de gauche », et zut à ceux qui pensent que c’est ambigu.

Tibor

Extrait de Non Fides N°2

Note

[1] Voir à ce sujet le documentaire The Fog of War, 2003


Enrique   |  Histoire, Politique   |  02 26th, 2015    |