Cuba : De nouvelles luttes pour de vieux défis

Nous savons combien il est difficile de transmettre la complexe et intéressante réalité qui y existe. La fin du soi-disant camp socialiste a coûté à Cuba plus de 80% de ses marchés et de ses subventions soviétiques. En plus de cela, l’agression impérialiste du gouvernement américain s’est accrue, le blocus économique s’est intensifié et le financement des groupes d’opposition de droite a augmenté de plusieurs millions de dollars. En outre, l’activité des groupes promouvant des actes terroristes dans mon pays est toujours tolérée sur le territoire des USA. L’ingérence impérialiste des USA a été et sera un facteur crucial dans le cas de Cuba, car elle alimente les tendances réactionnaires et conservatrices du gouvernement cubain actuel, qui utilise cela comme prétexte pour harceler les forces de gauche, socialistes et indépendantes de sa bureaucratie.

Rappelons que lors du triomphe de la Révolution, les forces victorieuses fusionnèrent dans un parti unifié sur base des mouvements qui dirigèrent la lutte. Fondamentalement, il s’agissait des mouvements interclassistes du Mouvement du 26 juillet et du Directoire révolutionnaire, ainsi que du Parti communiste de nature stalinienne, cela avec l’appui décisif de la paysannerie.

Le programme initial de ce parti n’était pas socialiste, bien que progressiste du point de vue nationaliste bourgeois. La réforme agraire était son drapeau principal. Mais la lutte de classe qui a suivi a radicalisé et polarisé la politique du moment. La réforme agraire, la nationalisation des entreprises, la campagne d’alphabétisation, l’intégration de la population dans des organes de défense de la révolution, la transition vers une économie planifiée excluant l’économie de marché, et un fort investissement social, parmi d’autres politiques, ont permis la transformation de l’État, même s’il manquait les éléments de contrôle et de démocratie ouvriers. Ainsi, ce système, assorti des subventions soviétiques, a permis de sortir de la situation de pauvreté atroce antérieure à la révolution, pour arriver à une société d’un bien plus grand développement humain. Mais c’est 30 ans plus tard, quand le Mur de Berlin est tombé, que la plus grande épreuve que le socialisme cubain a eu à traverser commença.

Après la chute du Mur de Berlin

Dans les années qui ont suivi, le gouvernement a pu continuer à s’enorgueillir de sa capacité gigantesque à pouvoir mobiliser des manifestations en sa faveur. Cependant, il y a eu recours à des moyens de pression sur les manifestants et la corruption a sévi parmi les organisateurs.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’émigration d’environ un demi-million de Cubains au cours des 20 dernières années. De plus, après des décennies d’une politique qui s’est effectuée sans contrôle et sans mesures démocratiques pour participer aux prises de décisions de la politique nationale, un fossé insurmontable s’est créé entre la direction et les travailleurs. Le discrédit de l’idéologie soviétique a laissé un vide dans les rues cubaines, rapidement occupées par la philosophie symbolisée par la ville de Miami.

Cette philosophie est basée sur le fait de considérer la prospérité comme synonyme de consommation et le prestige personnel et social comme étant réduit à pouvoir montrer aux autres son haut niveau de vie. Chez beaucoup, cela a naturellement engendré une grande frustration ainsi qu’une tendance à recourir au crime pour satisfaire ces besoins. Cela a également été alimenté par les élites bureaucratiques corrompues, qui adoptent ouvertement ce mode de vie, loin des idéaux de la rigueur socialiste dont le paradigme le plus mémorable est la figure disparue d’Ernesto Che Guevara.

La politique économique du gouvernement n’a été capable que de stimuler cette mentalité de consommation, dans le cadre de sa tentative désespérée de s’attirer des devises convertibles. Les politiques sociales les plus importantes sont néanmoins restées, comme la sécurité d’emploi, le maintien de services d’enseignement, de santé et de sécurité sociale universelle. Cela a contribué à conserver le régime au pouvoir, même si, dans le même temps, les Cubains ont souffert de graves pénuries de produits alimentaires et industriels, de pannes de courant, etc.

Le modèle chinois ?

Nous pouvons aujourd’hui contempler la dérive lente, mais déterminée, vers une transition qui rappelle le modèle chinois : un système d’économie de marché sous le contrôle strict d’une force politique bureaucratique et autoritaire. Nous n’avons pas encore atteint ce point, mais l’ouverture au petit capitalisme national et au grand capital transnational qui se produit actuellement, en plus des coupes budgétaires dans les politiques sociales et dans les droits des travailleurs, nous incline à nous attendre à un tel développement.

La première fois qu’a été soulevé à Cuba le licenciement de près d’un million de travailleurs, il n’y a eu aucune résistance de la part de direction de la CTC, la centrale syndicale. Mais au niveau de la base, les travailleurs sont en ébullition. Toutefois, sans organisation consciente, le mécontentement en est resté au niveau individuel, même s’il s’agit d’une multitude d’individus. Cette colère a malgré tout convaincu le gouvernement de temporiser les choses et d’accorder des concessions.

Un nouveau code du travail

Les inégalités et le mécontentement s’intensifient, ainsi que les tendances individualistes et aliénantes. La dernière étape de ce processus est caractérisée par l’introduction d’un nouveau projet de Code du travail qui actualise certains principes de l’ancien code devenu ‘’obsolète’’, tel que le droit et le devoir de chaque citoyen d’avoir un travail. C’en sera donc fini de la sécurité d’emploi pour les travailleurs. Ils pourront, en effet, être licenciés plus facilement avec seulement la petite promesse de chercher des alternatives à l’employé congédié. Le syndicat conservera le droit d’émettre une opinion dans certains cas.

Voilà la situation dans le domaine de l’économie publique. Dans la sphère privée, la nouvelle classe émergente de capitalistes aura d’énormes possibilités pour exploiter ses employés. Nous n’avons trouvé aucun moyen de défense efficace des travailleurs dans ce secteur, concernant les droits minimaux, tels que les heures de travail, le salaire minimum, les vacances, les droits parentaux, les contrats de négociation collective, la défense contre la discrimination sur des critères de race, de genre ou d’orientation sexuelle. (Quelques jours plus tard, le Code a été adopté et il est supposé qu’il donnera des moyens de défense, au moins en théorie. Il reste à voir comment ils seront appliqués dans la pratique, NDT).

Solidarité internationale

Il faut saisir toutes les occasions pour dénoncer la bureaucratie qui insiste pour se présenter comme de véritables partisans du socialisme et de la souveraineté nationale, tout en vendant le pays par petits morceaux aux capitalistes locaux et internationaux. Il faut continuer à rappeler à tous que chaque citoyen a le droit d’être protagoniste de ses conditions et de la transformation de sa propre vie. Il faut apprendre à récupérer l’exercice de ce droit qui se trouve aujourd’hui dans les mains d’une élite appartenant au passé.

C’est dans ce cadre que nous nous sommes rendus à cette réunion du Comité pour une Internationale Ouvrière et que nous renforçons notre courage et notre espoir. Ici, nous avons testé la force de la solidarité qui peut s’établir entre les socialistes du monde entier.

Nous exprimons notre gratitude pour l’adhésion à notre cause de l’émancipation sur tous les terrains sociaux, contre la domination qui opprime ceux qui travaillent, ceux qui ont la peau noire ou une orientation sexuelle non majoritaire, etc., pour le soutien démontré contre toutes les causes de l’injustice qui existent dans notre pays et contre lesquelles nous ne nous lasserons jamais de combattre.

Au nom de l’Observatoire critique de Cuba et de moi-même, encore une fois, je vous remercie beaucoup.

Rogelio M. Díaz Moreno (Observatorio Critico)

En décembre dernier s’est tenue une réunion du Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière. Rogelio M. Díaz Moreno, un représentant du collectif cubain, Observatorio Critico (Observatoire critique), était présent. Voici ci-dessus l’intervention qu’il a faite à cette réunion au sujet de la situation cubaine.


Enrique   |  Actualité, Politique, Société, Économie   |  06 17th, 2014    |