Cuba veut sortir de sa dépendance à l’égard du Venezuela
Un vertige s’est emparé des dirigeants cubains lorsque la contestation du gouvernement de Nicolas Maduro a pris de l’ampleur au Venezuela. Les Cubains, étonnés ou réjouis, peuvent suivre sur leur écran de télévision les épisodes de la crise politique à Caracas tels que les diffuse la chaîne Telesur, proche du pouvoir vénézuélien. De la tourmente qui menace le régime « frère » chaviste, la presse officielle cubaine dit le moins possible. Et pour cause : la fin du chavisme serait une catastrophe pour le régime communiste au pouvoir dans l’île depuis cinquante-cinq ans.
Au-delà de l’impact politique qu’aurait la défaite d’un pouvoir ami, l’économie cubaine dépend en effet lourdement du pétrole vénézuélien (Caracas en livre environ 80 000 barils par jour, même si les livraisons ont déjà accusé une baisse de 20 % à 30 % en 2013). Cette manne est concédée à des conditions privilégiées, puisqu’elle est « payée » par l’envoi de milliers de coopérants cubains, en majorité des personnels de santé. Les échanges avec le Venezuela représentent près de 20 % du PIB du pays.
Les opposants cubains actifs sur les réseaux sociaux observent les protestations vénézuéliennes avec gourmandise. Ils voient en elles la possibilité pour qu’enfin quelque chose bouge vraiment à Cuba et adressent des messages d’encouragement à l’opposition. « Tout peut arriver », veut croire l’avocat indépendant Wilfredo Vallin.
PLAN B
La menace d’une défaillance du régime fondé par Hugo Chavez renvoie le pouvoircubain au souvenir de la chute de l’URSS. La disparition du camp communiste, dont elle dépendait pour presque tout, avait laissé Cuba exsangue. « Le PIB avait soudain baissé de 35 % », rappelle Joaquin Infante Ugarte, vice-président de l’officielle Association nationale des économistes de Cuba. Il s’en était suivi pour l’île une période très difficile dans les années 1990, l’économie locale ne produisant quasiment plus rien du nécessaire, notamment pour l’alimentation.
Le gouvernement de Raul Castro veut à tout prix éviter que se reproduise un tel scénario. Il soutient donc aujourd’hui autant qu’il le peut le président vénézuélien, Nicolas Maduro. Surtout, il essaie d’échafauder un plan B pour surmonter les conséquences d’une éventuelle alternance à Caracas.
Le volet politique du rééquilibrage des relations internationales de Cuba est en bonne voie. La réunion à La Havane, en janvier, de la Communauté des Etats latino-américains et caribéens a montré que le pouvoir castriste, bien que toujours en butte à l’embargo des Etats-Unis, a normalisé ses relations avec les autres pays du continent. La normalisation économique, elle, reste une gageure. L’objectif prioritaire du gouvernement de M. Castro est d’attirer davantage d’investisseurs étrangers pour trouver les fonds nécessaires à l’économie. « Il nous faudrait au moins 2,5 milliards de dollars [1,8 milliard d’euros] par an pour nous développer », évalue M. Infante Ugarte. Tout est à faire : dépendante en matière énergétique, Cuba importe aussi pour 2 milliards de dollars de produits alimentaires par an, alors qu’une partie de ses terres n’est pas cultivée.
RÉUNIFICATION MONÉTAIRE
Mais les entreprises étrangères désireuses d’investir se heurtent à de nombreuses difficultés. La première tient au fait que deux monnaies coexistent dans le pays : le peso, monnaie dans laquelle sont payés les Cubains et avec laquelle ils achètent les produits de base, et le peso convertible (CUC, équivalent de 25 pesos), aligné sur le dollar, nécessaire dès lors que l’on veut acheter des produits importés mais aussi des produits de première nécessité non subventionnés. Le gouvernement cubain a annoncé la future suppression du CUC, sans donner de date ni de détail sur les modalités – ce qui inquiète une partie de la population, qui craint l’inflation. « La réunification monétaire est essentielle, insiste Cesario Melantonio Neto, l’ambassadeur du Brésil à Cuba. Si les choses demeuraient en l’état, cela dissuaderait les entreprises de venir à Cuba. »
Cet avertissement a d’autant plus de poids que le Brésil a massivement misé à Cuba. L’entreprise brésilienne Odebrecht a construit le port en eau profonde de Mariel, qui a pour ambition de devenir la plaque tournante des échanges dans la Caraïbe lorsque les travaux d’élargissement du canal de Panama seront achevés. La première tranche a été inaugurée par la présidente Dilma Rousseff en janvier, puis l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva s’est rendu en février à La Havane.
« VRAIE VOLONTÉ DE MODERNISER »
Le Brésil attend de ce port « une capacité de projection pour [ses] entreprises dans la zone caraïbe et d’Amérique centrale », explique M. Melantonio Neto. Il pousse aussi ses entreprises à s’installer dans la zone économique spéciale en préparation autour du port. « Si nous n’étions pas optimistes sur l’actualisation du modèle économique cubain, nous ne serions pas aussi présents. Nous considérons que cela vaut la peine », insiste l’ambassadeur brésilien.« Aujourd’hui, il y a une vraie volonté de moderniser », analyse Fabien Buhler, PDG de Devexport, une société de commerce française implantée de longue date à Cuba et qui représente sur place plusieurs entreprises.
Cette « actualisation », selon l’euphémisme utilisé par le régime, passe aussi par la nouvelle loi sur les investissements étrangers, qui vient d’être approuvée. Très attendue par les entreprises étrangères, elle vise à assouplir les contraintes qui pèsent sur les investisseurs potentiels. Elle ouvre aux capitaux étrangers tous les secteurs à l’exception de l’armée, de la santé et de l’éducation, réduit les impôtsdus par ces entreprises et les délais de réponse de l’administration. En revanche, elle ne donne pas aux entreprises la possibilité de choisir leurs employés, qui continueront d’être fournis par l’Etat.
Cécile Chambraud/Le Monde