Laurent Fabius à La Havane
La France veut renouer des liens forts avec Cuba. C’est dans cette optique que le ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, Laurent Fabius, s’est rendu à La Havane ce samedi 12 avril. Pour marquer l’évènement, Laurent Fabius a eu droit à un entretien d’une heure trente avec le président cubain Raoul Castro. Outre la question du dialogue politique, le volet économique a été au cœur des pourparlers.
Laurent Fabius est aussi le premier des ministres européens à faire le déplacement depuis que l’Union européenne a ouvert la porte, en février, à une normalisation de ses relations avec le régime de l’île, gelées depuis dix ans. Pour la diplomatie française, le changement de pied de l’UE se justifie par les petits signes d’ouverture donnés ces dernières années par le régime cubain, comme la suppression de l’autorisation de sortie du territoire pour les Cubains, la libération de prisonniers politiques, la non application de la peine de mort ou encore de petites réformes économiques.
La France souhaite pouvoir s’appuyer sur un pays considéré comme influent dans la région et profiter de son ouverture économique. Et si, d’un côté, cette visite se veut politique, il y a également un volet économique. Des chefs d’entreprises accompagneront Laurent Fabius. Le but, augmenter les échanges entre ces deux pays. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont généré 212 millions d’euros d’excédents pour la France en 2013. Paris souhaite passer à la vitesse supérieure. Et la « réactualisation » du modèle économique cubain, entreprise en 2008, doit permettre à terme l’implantation d’entreprises françaises sur le sol cubain. La récente loi sur les investissements étrangers adoptée par La Havane devrait, entre autres, accélérer les échanges entre Paris et La Havane.
Le développement des échanges commerciaux entre les deux pays sera au centre des débats. D’ailleurs, Laurent Fabius, qui sera accompagné par quelques dirigeants d’entreprises françaises pour ce déplacement, doit ouvrir le premier bureau d’Ubifrance à La Havane. L’agence française pour le développement international des entreprises aura la tâche d’attirer des entreprises à Cuba et d’y augmenter les investissements. Pour l’instant, seuls Bouygues, le groupe Accor, Air France et Pernod-Ricard sont installés à Cuba.
Paris souhaite profiter de la nouvelle législation sur les investissements étrangers pour y accroitre sa présence. Cette législation doit permettre aux entreprises étrangères de bénéficier d’une fiscalité avantageuse. Jusqu’à présent, elles étaient taxées à hauteur de 30 %, mais ce taux devrait être réduit à 8 % pour les nouveaux investisseurs, et à 15 % pour les autres. Cette législation est, aux yeux de la diplomatie française, un signe d’ouverture de l’économie cubaine.
Les autorités locales se refusent cependant à utiliser le terme d’« ouverture ». Elles préfèrent dire qu’elles sont en train de « réactualiser » le modèle économique de l’île. Une urgence pour La Havane dont l’économie ne parvient toujours pas à décoller malgré les réformes adoptées ces dernières années.
Raul Castro a annoncé lors du 6e Congrès du Parti communiste cubain en avril 2011, une série de mesures qui visaient une “mise à jour du modèle socialiste cubain”. On peut se poser la question : existe-t-il encore un modèle socialiste à Cuba ? De nombreux secteurs de la gauche critique cubaine considèrent que les mesures adoptées lors de ce congrès ouvrent la voie vers le capitalisme et vers un modèle de type chinois.
Aujourd’hui, les dirigeants cubaines cachent le fait que depuis 1992, lorsque les Russes rompirent tous les accords bilatéraux avec Cuba et mirent fin à l’aide soviétique dans le domaine économique, de nombreuses entreprises privées multinationales n’ont cessé de s’installer à Cuba. Ces sociétés contrôlent à 50 % l’industrie touristique, le nickel, le tabac, l’industrie alimentaire, le pétrole ou la production, la commercialisation et l’exportation de rhum (l’entreprise française Pernod Ricard).
L’autre expression du retour au capitalisme, parrainé par la Parti communiste cubain est le profit que tirent ces multinationales. Ce profit est basé sur le salaire des travailleurs cubains, un salaire misérable qui oscille 10 et 20 euros par mois. L’État cubain, qui joue le rôle de travail au compte des multinationales, offre des garanties à ces multinationales pour que soient maintenus ces salaires, mais aussi l’interdiction du droit de grève et de créer des syndicats indépendants.
Depuis quelques années, avec la complicité de la CTC (Centrale des travailleurs cubains), le syndicat unique inféodé au PCC, des mesures de licenciements atteignent plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires. C’est ce syndicat qui a annoncé aux travailleurs l’augmentation de l’âge légal de retraite de 5 ans, sous prétexte que l’espérance de vie augmente à Cuba.
On est dans la continuité d’une restauration du capitalisme qui brade progressivement ce qui reste des anciennes conquêtes sociales. Chaque jour, un peu plus, les services de santé et d’éducation sont affectés. Grâce à la corruption et l’argent venant des cubains qui vivent à l’étranger, se développe de plus en plus une couche de privilégiés, de nouveaux riches : la Castro-burguesia, tandis que la majorité du peuple cubain souffre de toutes sortes de besoins et n’a pas d’autre possibilité que de continuer à “inventar”, inventer pour survivre.
Le capitalisme d’État était dès le début du processus révolutionnaire voué à l’échec, parce qu’il contenait une contradiction fatale, liée à la propriété de l’État, ce qui a forcé cet État à devenir répressif, parce que c’est seulement de cette manière qu’il pouvait garder une structure verticale. C’est l’échec d’un modèle autoritaire, ce système n’a jamais été égalitaire parce qu’il s’est basé sur un appareil bureaucratique, totalitaire et un parti-armée qui donnèrent naissance au Parti communiste cubain et aux Forces armées révolutionnaires, dirigés par les frères Castro.
Pour mettre fin aux inégalités actuelles et à l’enrichissement scandaleux de la bourgeoisie castriste, un changement est aujourd’hui nécessaire dans la vie du peuple cubain, pour cela il est nécessaire de lever toutes les interdictions concernant les droits des citoyens, pour leur permettre de s’exprimer et de faire valoir leurs revendications. Le droit de grève, un droit historique du mouvement ouvrier, doit être rétabli, de même que le droit de manifester librement et de former des syndicats indépendants.
Les investisseurs étrangers ont montré depuis 1992 qu’ils faisaient peu de cas des droits de l’homme à Cuba. La répression qui s’est abattu sur les journalistes, les bibliothécaires indépendants et les dissidents en 2003 n’a pas empêcher les multinationales étrangères de tirer profit des richesses et des travailleurs de ce pays. Comme en Chine, ces sociétés ne peuvent que se féliciter de pouvoir investir à Cuba dans un pays où l’opposition est réprimée et où les travailleurs n’ont aucun moyen de s’organiser de façon indépendante.
Daniel Pinós
GALSIC (Groupe d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba)