Les effluves de la nouvelle loi sur les investissements étrangers à Cuba
Les réformes économiques entreprises par le gouvernement cubain depuis 2008 et « l’expérience » de la Zone Spéciale de Développement de Mariel ont dévoilé les limites de l’actuel cadre légal concernant les investissements étrangers dans l’Ile. Cette évolution est primordiale pour le développement économique et social du pays.
Les réelles transformations de cette législation n’ont pas encore été annoncées officiellement. Cependant, de récentes déclarations faites par des hommes d’affaires d’origine cubaine, comme Alfonso Fanjul ou Carlos Saladrigas ont semé des graines dans la sphère publique nationale. Et les analystes vont bon train sur les spéculations à ce sujet.
Il n’y a eu que peu de variantes sur le sujet dans les titres des principaux journaux du monde: “ Le magnat du sucre Alfonso Fanjul est prêt à investir à Cuba ». Aux alentours des mêmes dates (février 2014), le chef d’entreprise américano-cubain Carlos Saladrigas déclarait au journal espagnol El Mundo « qu’il fallait être fou pour investir à Cuba, car il n’y a pas de garanties, d’infrastructures ou de clarté concernant les règles du jeu », mais que la situation pourrait « rapidement » évoluer.
A moins d’un mois du débat à l’Assemblée Nationale au sujet du nouveau projet de loi sur les investissements étrangers qui pourrait favoriser les hommes d’affaire cubains résidants en dehors de l’Ile, « le Roi du sucre » déclarait que « s’il y a un moyen de ramener à Cuba le drapeau de la famille [Fanjul], je serais heureux de le faire ». Par ailleurs, le co-président de « Cuba Study Group » laissait clairement entendre que si l’Ile s’ouvre aux nouveaux marchés, nous [les entrepreneurs américains], nous n’allons pas rester les bras croisés ».
Deux attitudes : un même flair
Les interprétations sur ces déclarations ont, quant à elles, connu tout type de variations, surtout face aux paroles de Fanjul.
Cette « nouvelle version passant d’un pays en transformation à un pays en transition » pourrait sous-entendre un changement dans la politique des Etats-Unis envers Cuba, selon Arturo López-Levy, politologue formé à Cuba et directeur de Cuban Americans for Engagement (CAFE). D’après le Washington Post, cela place l’homme d’affaires d’origine cubaine « à l’avant-garde d’un groupe de riches investisseurs originaires de l’Ile dont les intérêts économiques et l’influence politique mettent la pression aux deux pays pour aller vers un dégel ». Mais ce que déclarait El Mundo, c’est « qu’Alfi Fanjul, dans le fond, a surtout le flair pour les affaires ».
La Havane n’a fait aucune déclaration officielle.
Le résultat de ces déclarations est que depuis février dernier, le millionnaire d’origine cubaine fait de nouveau parler de lui à Cuba. Et je dis bien «de nouveau » car, s’il n’a jamais fait la une de la presse nationale, ce représentant des Fanjul a un nom bien connu : le savoir-faire de sa famille depuis 150 ans dans l’industrie sucrière cubaine est notoire parmi les producteurs, les chefs d’entreprises, les familles et les communautés ayant une expérience dans le travail de la canne à sucre. Cette industrie a employé durant des décennies environ 40% de la population cubaine active et les souvenirs des « bonnes années » se maintiennent intacts quelque soit l’endroit, du moment qu’une centrale existait.
Qu’étaient-ils devenus…?
Alfonso Fanjul a quitté Cuba quand le gouvernement de Fidel Castro commença à “nationaliser” les grandes et petites propriétés privées, en particulier celles liées à la matière première cubaine par excellence : le sucre. Exilé aux Etats-Unis, son commerce du sucre se transforma en l’une des plus grandes fortunes américaines et lui permis un laissez-passer dans les hautes sphères de la politique.
Résidant à Palm Beach, en Floride, la famille Fanjul possède Domino Sugar et des raffineries dans tous les Etats-Unis, l’Amérique Latine et l’Europe.
A 76 ans, il déclare vouloir « réunir la famille cubaine » sur l’Ile et viser son pays d’origine comme une intéressante destination économique. Il a déjà effectué quelques visites à La Havane et, bien qu’il n’y ait pas de preuves, on pense qu’il s’est entretenu avec les autorités cubaines, dont certains fonctionnaires de l’Agriculture.
“La famille [Fanjul] a vécu 150 ans à Cuba et il est évident que, à l’heure de la vérité, j’aimerais nous voir de retour à Cuba, là où l’on a démarré… Mais cela doit se faire dans des circonstances appropriées. L’Ile doit forcément offrir des conditions nécessaires pour les investisseurs, à savoir la rentabilité des investissements ainsi qu’une sécurité garantie, afin qu’ils se sentent à l’aise dans leur choix ».
La cohérence de ses déclarations et d’autres, telles que celle de Saladrigas, qui résonnent à l’unisson avec les voix des entrepreneurs américains ayant des vues sur l’Ile, confortent l’idée que fin mars, la nouvelle Loi sur les Investissements Etrangers pourrait se focaliser sur la re-capitalisation des secteurs fortement touchés par la crise économique des années 90, et notamment le secteur agricole.
A quoi ressemble la nouvelle Loi sur les Investissements Etrangers ?
La nécessité de nouveaux investissements par des capitaux étrangers dans l’économie cubaine a été soulignée par le président Raúl Castro lors du récent congrès de la Centrale des Travailleurs de Cuba (organisation qui regroupe les syndicats du pays). « Nous devons prendre en considération l’importante nécessité d’encourager et attirer l’investissement étranger afin de dynamiser le développement économique et social du pays ».
C’est dans cette optique qu’il avait relancé la politique économique en tentant d’attirer des investissements étrangers grâce à la création de la Zone Spéciale de Développement de Mariel en septembre 2013. Celle-ci devait être accompagnée d’une législation plus adaptée à l’actuelle conjoncture économique.
Des sources officielles rapportées par le journal Granma indiquent que la loi en cours de discussion « vise à renforcer les garanties auprès des investisseurs » et d’établir « le caractère prioritaire des investissements étrangers dans pratiquement tous les secteurs d’activité, mais surtout ceux en lien avec la production ».
“L’avant-projet” de Loi sur les Investissements Etrangers, qui sera débattu par le Parlement le 29 mars prochain, prévoit des primes fiscales et des « exonérations totales dans certaines circonstances », tout comme une « flexibilité au niveau des douanes, afin de renforcer les investissements…« sans que le pays ne renonce à sa souveraineté et au système politique et social choisi ».
Des analystes et des anciens fonctionnaires cubains ont annoncé par des voies non officielles que la nouvelle loi, en plus de changements en termes d’avantages, de souplesse du processus et de garanties aux investisseurs, pourrait également inclure des aspects déjà testés pour le projet de Mariel. Il s’agit, entre autres remaniements, d’incorporer de nouvelles formes d’investissements tels que les franchises, les projets BOT, les holdings et l’agrandissement des zones franches. C’est également définir le régime préférentiel des investissements dans la production agricole, l’exploitation minière, le pétrole, les infrastructures, la production de moyenne et haute technologie, tout comme les productions compétitives pouvant être exportées. On prévoit aussi la mise en place de primes, d’avantages fiscaux et tarifaires ; la flexibilité du régime de recrutement des travailleurs sans renoncer au contrôle du système de l’emploi des associations avec le capital étranger. Il est enfin prévu d’instaurer des contrats de Stabilité Juridique pour les investissements, notamment en rapport avec la politique monétaire et les taux de change et d’intégrer des entrepreneurs étrangers d’origine cubaine comme éventuels investisseurs.
Cependant, aucune de ces modifications n’a fait l’objet d’une déclaration officielle de la part des autorités cubaines. Ce sont des prévisions de spécialistes cubains faites à partir de ce qu’a été l’expérience de la Zone Spéciale de Développement de Mariel, de discours officiels autour de sujets tangentiels et des propres polémiques qu’ont provoqué, ces derniers mois, les déclarations de Fanjul et Saladrigas.
L’actuelle législation date de 1995 et place l’investissement étranger comme étant complémentaire de l’investissement national. Elle précise qu’elle peut être autorisée dans tous les secteurs, à l’exception des services de santé, de l’éducation et des forces armées, sauf dans son cadre économique. Mais ces investissements ont surtout eu lieu dans les exploitations minières, le pétrole, le tourisme et autres productions annexes. Par ailleurs, il est dit qu’il est nécessaire d’employer du personnel par le biais d’une structure nationale.
Ce n’est qu’après le 29 mars que l’on saura quels changements sont prévus… Il se pourrait malgré tout que le processus d’application du nouveau cadre régulateur puisse prendre autant de temps que l’unification monétaire du pays… dont la date du Jour Zéro n’a toujours pas été fixée.
Marianela González
Habana XXI