Cuba-États-Unis. En dépit du blocus officiel, capitaux et biens américains affluent comme jamais à Cuba

Officiellement, le blocus économique et financier américain est toujours en vigueur, un demi-siècle après son introduction. Washington a rompu ses relations diplomatiques avec La Havane en 1961 et décrété un embargo un an plus tard. D’après le dernier rapport de l’ONU, « les pertes infligées à Cuba par le blocus s’élevaient, jusqu’en décembre 2011, à plus de 108 milliards de dollars ». Dans les faits, pourtant, la portée de l’embargo a beaucoup diminué, même s’il affecte encore la vie quotidienne des Cubains.

Les Américains, et parmi les plus hauts placés, sont de plus en plus nombreux à croire que l’embargo contre Cuba doit être levé et les relations normalisées. Les Américains veulent tourner la page sur soixante ans d’une relation tumultueuse, parfois même sanglante, et renouer les liens. Démocrates et Républicains confondus, ils sont 56% à le souhaiter et, chose plus surprenante, 63% en Floride et 62% parmi les Latinos.

Les États-Unis et Cuba entretiennent toujours un lourd passif. À l’instauration du régime pro-soviétique à Cuba et aux menées castristes en Amérique latine et en Afrique, les Américains ont répondu par une succession de sanctions et d’interdits dont la plus scélérate est l’inscription du pays sur la liste des États soutenant le terrorisme, alors que Washington ne s’est jamais gêné d’entretenir de bonnes relations avec des régimes criminels et terroristes comme celui de l’apartheid en Afrique du Sud ou du général Pinochet au Chili. Les deux côtés en ont gardé de profondes rancunes.

La relation n’a pourtant jamais été totalement rompue. Tout en maintenant la rupture des relations diplomatiques, Jimmy Carter a autorisé l’échange de diplomates entre les deux pays. Au cours des vingt dernières années, les relations commerciales se sont développées et l’embargo a été allégé. De plus en plus de villes américaines ont une liaison aérienne avec Cuba.

Peu après son élection en 2008, Barak Obama a assoupli certaines règles de l’embargo que George W. Bush avait durci. Le million et demi d’Américains d’origine cubaine peuvent désormais voyager sans contrainte à Cuba. On estime aujourd’hui à 600 000 le nombre de Cubano-Américains qui se rendent chaque année dans l’île et ils y dépensent beaucoup d’argent.

Surtout, Barack Obama a libéralisé en 2009 l’envoi de remesas (les virements aux familles) vers l’île des Caraïbes. Pendant longtemps, l’acheminement de fonds depuis les États-Unis vers Cuba était très encadré. Le montant était plafonné. Il n’existe désormais plus aucune restriction à l’envoi de remesas. En 2008, les exilés cubains aux États-Unis envoyaient environ un milliard de dollars par an à leurs proches restés au pays. Aujourd’hui, ce montant est de 3 milliards de dollars (d’autres sources évoquent 5 milliards de dollars). À l’échelle de l’île, c’est considérable. En 2012, les États-Unis ont été le premier fournisseur de biens alimentaires et agricoles de Cuba.

Les remesas devraient augmenter fortement cette année puisque les Cubains ont désormais le droit de quitter l’île. Plus de 226 000 ont voyagé à l’étranger depuis janvier, sans que l’on sache combien ont quitté l’île définitivement.

Beaucoup de Cubains reçoivent de l’argent de la famille qui vit à l’étranger. Les flux d’argent provenant des remesas et des voyages des Cubano-Américains ont permis à l’économie cubaine de se maintenir. Ironiquement, comme l’embargo des États-Unis ne concerne pas les médicaments et les produits alimentaires, de nombreuses entreprises américaines ont toujours commercé discrètement avec Cuba. Selon le département d’État, « en 2012, les États-Unis ont été le premier fournisseur de biens alimentaires et agricoles de Cuba ». Washington fournirait désormais, selon les sources, entre 35 % et 45 % des besoins alimentaires de l’île.

Entre l’argent injecté par les Cubains de Miami, les remesas et une augmentation des échanges, les États-Unis sont devenus dans les faits le principal partenaire économique de Cuba avec le Venezuela. L’embargo pourrait bien mourir de facto avant même d’être levé. Après tout, même le TuKola, la version socialiste du Coca-Cola, est de plus en plus remplacé par l’original américain fabriqué… au Mexique.

Enrique Roig San Martin


Enrique   |  Actualité, Politique, Économie   |  03 25th, 2014    |