Le Net, filtré et réservé aux friqués
SPÉCIAL CENSURE – L’accès à Internet est officiellement autorisé depuis juin 2013 sur l’île, mais son prix reste prohibitif pour la plupart des Cubains. Et certains sites dissidents ne sont toujours pas accessibles.
Il y a quelques jours, en bas de chez moi, deux voisins discutaient d’une nouvelle parue dans le journal Granma, l’organe officiel du Parti communiste cubain. J’ignore de quoi il s’agissait, mais l’un arguait de l’authenticité de l’information en insistant : “C’est dans Granma, tu n’as qu’à lire.” Ce à quoi son interlocuteur a répondu : “Je ne crois pas à ce que dit Granma, je vais sur Internet.”
Il y a encore un an, je n’aurais sans doute pas entendu pareille conversation entre deux Cubains : je ne crois pas que quiconque aurait osé mettre en doute ainsi, à voix haute, la crédibilité de la presse officielle nationale. Je ne sais pas si mon voisin avait déjà accès à Internet il y a un an, ou s’il peut le faire depuis seulement quelques mois, ni, le cas échéant, par quel moyen il se connecte.
De nombreux Cubains se connectaient avant même que l’accès au web [en juin dernier] ne soit ouvert légalement aux nationaux, et généralisé. Comment ? Certains disposaient sur leur lieu de travail d’un accès légal et gratuit aux pages que l’Etat jugeait bon de leur ouvrir. D’autres y accédaient depuis des ambassades, ce qui est parfaitement légal mais mal vu par nos autorités. D’autres de nos compatriotes avaient accès à Internet “au marché noir”. Quelqu’un vous disait : “Machin a Internet, mais ne le dis pas, c’est au marché noir.” Car, au final, tout est question d’argent.
Une question secondaire pour de nombreux Cubains
Et aujourd’hui encore c’est l’argent qui nous divise, entre d’un côté les Cubains qui peuvent avoir accès au Net et ceux qui ne l’auront jamais, et qui d’ailleurs s’en moquent, leur priorité étant de d’abord de manger. Comment se soucier de l’information quand ce qu’il faut chercher d’abord, c’est de quoi se remplir l’estomac, et des vêtements à peu près corrects pour soi et sa famille ?
J’imagine que là est la différence entre mes deux voisins. L’un a les moyens de se payer Internet et de se passer de Granma comme source d’information (je ne sais pas s’il est conscient que tout ce qui se publie sur Internet n’est pas digne de confiance), tandis que l’autre doit se contenter de la presse officielle nationale à moins de 2 pesos.
Il y a un an, je déplorais que nous n’ayons à Cuba accès qu’aux médias nationaux et officiels, fournissant seulement l’information que le parti unique jugeait bon de nous fournir, présentée comme il jugeait bon de nous la présenter. On peut désormais se rendre dans ces salles Internet qui ont ouvert dans le pays, pour naviguer sur le web (cubain et étranger) et se connecter à sa messagerie de courrier électronique (cubaine ou étrangère). On le sait, l’heure de connexion à Cuba coûte 4,5 pesos convertibles (CUC)*, soit un peu moins de 4 euros et un peu moins de la moitié du salaire mensuel d’un travailleur. Le produit le plus accessible est la messagerie électronique cubaine, à 1,5 CUC de l’heure [1,10 euro]. Mais bon, c’est à vous de voir, personne ne vous oblige non plus à accéder à Internet.
Encore de nombreux sites inaccessibles
J’avais ouï dire qu’on pouvait accéder, dans les cybercafés, à des sites comme celui du Nuevo Herald, et c’est vrai. J’ai pu le constater par moi-même il y a quelques semaines, lorsque j’ai décidé de me faire hara-kiri et de me créer un compte. La connexion est rapide, en tout cas par rapport à ce à quoi je suis habituée. Et c’est vrai, on peut accéder à n’importe quelle publication, même critique à l’égard du gouvernement cubain. Ça, c’est la liberté d’information, me suis-je dit. Je ne peux plus parler de Cubains désinformés, seulement de Cubains pauvres.
J’en étais à cette conclusion quand j’ai tenté une chose simple, accéder au blog Generación Y, de Yoani Sánchez [célèbre journaliste très critique envers le régime] – si incroyable que cela puisse paraître, je ne l’avais jamais lu.
J’ai pu lire quelques-uns des articles de la blogueuse repris en lien ou en intégralité sur d’autres sites, mais sans pouvoir accéder à son blog. Le pire est que j’ai mis du temps à comprendre que l’accès était impossible. Etant habituée à une connexion lente, j’ai attendu, attendu, et attendu encore, pendant que les minutes, et mon argent, s’égrenaient.
J’ai aussi tenté ma chance sur le blog Sin evasión, de Miriam Celaya, et sur celui de Reinaldo Escobar.
Yusimi Rodriguez Lopez
Diario de Cuba