« Rien n’est fait pour les sauver » : Les familles de conscrits disparus à Holguín dénoncent la situation sur les réseaux sociaux

Quarante-huit heures après les premières explosions, les autorités cubaines affirment qu’à Melones le sol est toujours instable. Le chef de l’État-major de la Défense civile, Ramón Pardo Guerra, a déclaré à la télévision nationale « Il faut attendre patiemment et dans le calme que nous puissions analyser la situation et nous en remettre ». Pourtant des membres des familles des 13 disparus, suite à l’incendie d’un dépôt d’armes et de munitions à Holguín, affirment que l’État n’a pas donné une réponse à la hauteur de la crise.

« Les images sur les réseaux sociaux ne reflètent pas l’horreur que nous avons vécue », ont déclaré à Martí Noticias plusieurs habitants de Melones, dans la commune de Rafael Freyre, où tout a commencé. Les premières explosions se sont produites à deux heures du matin le 7 janvier 2025 et se sont prolongées jusqu’au soir quand s’est produite une violente détonation. Au cours de cette journée plus de 1 120 personnes ont dû abandonner leurs logements et 400 ont été évacuées jusqu’au 8 janvier.

Mais la plus grande tristesse est de savoir que 13 personnes ont disparu, parmi lesquelles neuf conscrits du Service militaire obligatoire (SMA). Neuf jeunes portés disparus tiennent en haleine leurs familles et leurs proches en attente de nouvelles. Dans ce contexte douloureux, les réseaux sociaux sont devenus des plateformes de dénonciation de ce que beaucoup considèrent comme une nouvelle preuve d’incurie de l’État cubain.

Une publication du groupe Facebook Revolico Freyre a réuni plusieurs témoignages de personnes touchées. Jesús Antonio, qui affirme être l’oncle d’un des garçons, a dit sur son post : « On ne fait pas le nécessaire, je sens que ces adolescents sont toujours en vie mais rien n’est fait pour les sauver ». Et il ajoute « on les abandonne à la grâce de Dieu ». Pour ce correspondant le plus triste est qu’« on a eu l’audace de leur faire courir des risques mais maintenant personne ne veut prendre de risque pour ces adolescents ». Il estime, en outre, qu’« on les a obligés à faire un sale boulot qui n’était pas de leur ressort ».

Plus les heures passent plus il sera difficile de retrouver des survivants. Une remarque que plusieurs personnes ont formulé sur ce média. L’internaute Yenisel Radoiu a aussi raconté « Mon neveu en fait partie aussi. L’équipe d’intervention et de sauvetage spécialisé doit se hâter de pénétrer dans les lieux ». Elle estime que des actions urgentes sont nécessaires. « Je vous en prie, qu’un responsable écoute le désespoir des familles », a déclaré cette habitante de Holguín.

Par ailleurs, Leandro Pérez Alberteriz, qui dit être un cousin germain d’un des disparus, se demande comment ces adolescents ont pu entrer dans ces dépôts d’équipements militaires alors que personne ne peut maintenant pénétrer pour les chercher. « Je suis disponible au cas où on aurait besoin de volontaires », écrit-il sur son post.

« On nous dit que les travaux de recherche continuent et nous croyons encore au miracle mais nous sommes certains que les morts sont nombreux compte tenu de l’ampleur des explosions et du fait, semble-t-il, qu’ils étaient à l’intérieur du local », a déclaréanonymement à Cubanet, un membre de la famille de Rayme Rojas Rojas, un des conscrits disparus.

Jusqu’à présent il n’y a aucune déclaration officielle concernant la situation des disparus ni les actions de recherche et de sauvetage effectuées.

Une tragédie qui se répète ?

L’incendie de Melones a mis une fois de plus au centre du débat public le modèle de gestion par l’État des situations de crise et la pertinence de un SMA qui ne garantit pas l’intégrité physique et mentale des conscrits. Divers témoignages révèlent que les accidents ne sont pas si accidentels, mais plutôt dus à une structure centralisée qui privilégie avant tout le contrôle politique et militaire. Au détriment même des protocoles de sécurité, comme ce fut le cas pour le sinistre de la Base des supertankers, à Matanzas [1]

La docteure Rut Diamint, professeure de l’Université de Torcuato Di Tella et experte concernant les questions militaires à Cuba, a indiqué dans un entretien avec Mario J. Pentón, qu’en général l’information qu’elle obtient des Forces armées révolutionnaires (FAR) est très opaque. « Il est très difficile d’avoir des informations, des données qui puissent être vérifiées ».

Cette analyste a déclaré à Martí Noticias que l’État a tenté de moderniser l’industrie militaire mais « de façon très limitée faute de ressources ». Elle a indiqué en outre que quand l’armement est vieux il est très courant qu’il explose ou fonctionne mal. »

Pour nombre de familles, le SMA non seulement signifie une perte d’autonomie pour les jeunes mais aussi, dans des cas comme celui-ci, expose leur vie à la menace de décisions négligentes. La politique qui consiste à employer des recrues inexpérimentées pour des activités à haut risque révèle l’absence d’intérêt pour leurs vies.

Propagande d’État : l’instrumentalisation de la douleur

Une campagne de propagande diffusée sur les réseaux sociaux probablement par des agents du Gouvernement exige d’« oublier la politique » quand il s’agit de l’incendie de Melones. Son objectif évident est de minimiser la responsabilité de l’État cubain dans cette tragédie, elle qualifie la couverture par les medias indépendants de « campagne ennemie ».

Les déclarations d’une femme s’identifiant comme « une mère cubaine » a déclenché l’indignation sur Facebook. « Ne m’incluez pas dans cette campagne de « mes enfants ne t’appartiennent pas » […] Mes enfants, par exemple, accompliront leur devoir et le service à la Patrie en fait partie tant qu’ils jouissent de leurs droits à être de jeunes cubains », dit le message. Le profil de cette publication originale et de plusieurs de ceux qui l’ont partagée est utilisé fréquemment pour diffuser la propagande du Gouvernement.

Sur ce post, le correspondant Carlos Osier Salas a répondu : « ce ne sont pas de supposés ennemis qui envoient ces gamins, presque des enfants, au service militaire obligatoire, non actif, comme ils veulent nous le faire croire ». Carlos a déclaré aussi que « s’ils n’y vont pas ils sont menacés d’être jetés en prison et de voir leur carrière et leur avenir brisés ».

Il a ajouté que les « ennemis » ne sont pas ceux qui commettent des violations et des négligences qui coûtent des vies « Je suis sûr que celui qui a écrit ce message n’a pas perdu un fils dans une de ces opérations » , a-t-il souligné.

Dans un autre post, un autre correspondant a écrit que la politique a mis ces enfants en danger. « La politique les a obligés à donner un ou deux ans de leur vie en échange de rien. Cette même politique n’a envoyé aucun signe d’aide ni de secours à tous ceux qui sont prisonniers dans le tunnel ». Il a prévenu que la tragédie peut se répéter.

Les réseaux sociaux se sont révélés le principal canal de dénonciations et de solidarité avec les personnes touchées. « L’angoisse de toute mère dont le fils est appelé au Service militaire obligatoire est indescriptible. Je suis passé par là et je suis contre ce service, contre la guerre et toute sorte de violence », a déclaré l’internaute Sandra Rossi.

L’explosion de Melones est plus qu’un désastre local : c’est le révélateur des failles profondes d’un système qui, pour beaucoup, a cessé de remplir sa mission principale : protéger les citoyens. La douleur des familles, l’indignation de la communauté et les voix qui s’élèvent sur les réseaux sociaux sont un appel urgent à agir.

Ana Luisa Pupo rappelle que ce n’est pas la première fois qu’« on envoie des jeunes en première ligne » dans des situations où ce sont des professionnels qui devraient agir ». Elle affirme que « désormais personne du haut commandement n’en assumera la responsabilité ». En 2022, lors du sinistre sur la base des supertankers à Matanzas, des jeunes ont été envoyés pour lutter contre un immense incendie sans avoir l’entrainement ni les ressources indispensables.

Pendant des décennies, plusieurs médias indépendants ont dénoncé le coût humainélevé du SMA. Un rapport de Archivo Cuba, publié en 2023, a conclu que le Service militaire de l’île viole le Protocole contre la Traite d’êtres humains et autres accords internationaux ratifiés par La Havane (Convention sur les droits de l’enfant, Convention sur le travail forcé de l’OIT et Convention contre la torture).

En janvier 2025, règne à nouveau le chagrin et une grande incertitude. Le compte-rendu le plus récent émanant de l’État ne donne qu’une information concernant les personnes évacuées après les explosions de l’entrepôt militaire à Freyre. La vidéo ne dit pas si existe un protocole spécifique pour la recherche des survivants. Des disparus on ne connaît seulement que leurs noms et on sait qu’ils sont 13. L’absence d’un plan de sauvetage, combiné à l’absence de déclarations officielles crédibles augmente l’angoisse des familles.

Dans ce contexte, l’internaute Sandra Garcia Raez lance une alerte et une question : « Dans tous les pays les parents se manifestent pour réclamer leurs enfants et personne ne peut leur interdire de le faire. Ici doit-on se contenter de pleurer ? »


Traduction française de Françoise Couëdel pour  Alterinfos-Diffusion d’informations sur l’Amérique latine : https://www.alterinfos.org

Source (espagnol) :

https://eltoque.com/no-se-esta-haciendo-nada-por-salvarlos-familiares-de-los-reclutas-desaparecidos-en-holguin-denuncian-en-redes.


Enrique   |  Actualité, Politique, Société   |  02 17th, 2025    |