Pourquoi la fin des frères Castro à Cuba ne change rien ?
Le départ à la retraite de Raul Castro, 89 ans, le lundi 19 avril est un symbole fort pour Cuba mais ne change pas la ligne politique du pays.
Cuba a tourné le 19 avril la page des frères Castro avec le départ en retraite de Raul, 89 ans, un symbole fort mais qui ne change en rien la ligne politique du pays, l’un des derniers communistes au monde. Le président « Miguel Diaz-Canel Bermudez a été élu premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba », a annoncé le parti sur Twitter, au terme d’un scrutin organisé parmi les délégués de la formation politique, seule autorisée dans le pays.
« Le 19 avril, jour historique », avait rappelé plus tôt, sur le même réseau social, le président de 60 ans. Le 17 avril a marqué le 60e anniversaire de l’attaque de la aie des cochons, pilotée par les Etats-Unis et déjouée par Cuba, une fierté nationale sur l’île. « La génération du centenaire, fondatrice et guide du Parti, transfère ses responsabilités » à une génération plus jeune, a-t-il ajouté, au dernier jour du congrès du parti unique à La Havane, baptisé « congrès de la continuité ».
La pire crise économique en 30 ans
Le passage de témoin survient à un moment critique pour l’île, plongée dans sa pire crise économique en 30 ans sous l’effet de la pandémie de coronavirus et du renforcement de l’embargo américain imposé depuis 1962. Pour l’immense majorité des 11,2 millions de Cubains, il n’y a jamais eu qu’un Castro – Fidel, puis son frère Raul – aux manettes. « Moi, depuis que je suis né, je ne connais qu’un seul parti », confie Miguel Gainza, artisan de 58 ans croisé dans le quartier historique de La Havane. « Et personne ne meurt de faim, c’est vrai ». Mais aujourd’hui, « on est un peu coincés, et c’est dommage que Fidel soit mort car lui, si, réglait tous les problèmes ».
Le nouveau Comité central, élu par les 300 délégués du parti (700 000 membres officiellement), a désigné lundi son Bureau politique, coeur du pouvoir avec 14 membres. Les Cubains, eux, ont l’esprit ailleurs : la plupart sont juste fatigués des pénuries et interminables files d’attente, dans cette île obligée d’importer 80% de ce qu’elle consomme. Et les jeunes, nombreux chaque année à s’exiler faute d’opportunités, expriment de plus en plus leurs frustrations sur les réseaux sociaux, dopés par l’arrivée de l’internet mobile fin 2018.
Guerre idéologique intacte
Mais pour le gouvernement, échauffé par quatre années de sanctions de l’administration Trump, la guerre idéologique reste primordiale. « L’existence à Cuba d’un parti unique a été et sera toujours la cible des campagnes de l’ennemi (les Etats-Unis, ndlr), déterminé à fragmenter et diviser les Cubains avec les chants des sirènes de la sacro-sainte démocratie bourgeoise », a clamé Raul Castro, appelant les nouvelles générations à « protéger avec zèle » le dogme du parti unique.
Dans la pizzeria où il travaille avec du rap en musique de fond, Luis Enrique Oramas, 30 ans, se prend à rêver qu’un jour les autorités « laissent les gens penser ce qu’ils veulent. La majorité des gens voudraient ça, plutôt que ce qu’on a maintenant, un parti où tout le monde pense pareil ». Et un parti vieillissant, aussi : même si une bonne partie de la génération historique – ceux qui ont fait la révolution de 1959 – devraient prendre leur retraite, 42,6% des militants ont plus de 55 ans.
« Face à l’immobilisme de l’administration Biden qui a laissée intacte la politique de Trump, et au défi d’un Cuba plus connecté et internationalisé, les élites cubaines serrent les rangs en repoussant tout débat interne », regrette Arturo Lopez-Levy, chercheur cubain de l’université Holy Names en Californie. Pendant le congrès, des dizaines de militants, journalistes indépendants et artistes ont dénoncé via Twitter être empêchés par la police de sortir de chez eux, une technique utilisée par les autorités pour bloquer tout rassemblement. D’autres ont dit avoir subi des coupures de téléphone et d’internet. « Que craignent les assistants au congrès? » a tweeté Erika Guevara-Rosas, directrice d’Amnesty International pour les Amériques. « Que l’on ruine leur fête de faux-semblants. Pendant qu’ils se donnent des tapes sur l’épaule pour maintenir leur régime autoritaire, ils harcèlent et emprisonnent chez eux des activistes et journalistes »
Grogne sociale sur internet
Ces derniers mois, internet a été le moteur d’une grogne sociale inédite, dans ce pays où les manifestations sont rarissimes : grâce à lui, artistes, dissidents et défenseurs des animaux ont mobilisé dans les rues. En réponse, le parti a adopté une résolution pour renforcer « l’activisme révolutionnaire sur les réseaux sociaux », pour lutter contre leur « subversion ».