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Cuba. Chroniques d’un cauchemar sans fin
L’Esprit frappeur vient de publier les chroniques cubaines de Floréal Melgar. L’auteur, un fils de réfugié politique espagnol, a longtemps milité au sein du mouvement anarchiste. Le livre porte un regard critique sur la nature autoritaire du système instauré à Cuba en s’appuyant sur plusieurs témoignages d’opposants.
Sous le régime castriste, durant soixante ans, des milliers de Cubains ont été exécutés, emprisonnés dans des conditions déplorables, des milliers d’autres ont été persécutés et intimidés, et des générations entières ont été privées des libertés politiques fondamentales. Quelques années avant le triomphe de la révolution de 1959, les anarchistes combattaient la dictature sanguinaire de Fulgencio Batista aux côtés de Fidel Castro et ses alliés. Au début des années 1960, quand s’installa la dictature castriste, ces mêmes anarchistes furent les premières victimes de la répression.
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Le régime répressif créé par Fidel Castro a pu tenir pendant des décennies grâce à un contrôle draconien qui prévoyait des sanctions sévères pour ceux qui osaient être en désaccord avec le gouvernement. La répression a été inscrite dans la législation et appliquée par les forces de sécurité, des groupes de civils (les CDR, les Comités de défense de la révolution) alignés sur l’État et un pouvoir judiciaire totalement subordonné à l’exécutif. Ces pratiques abusives ont installé à Cuba un climat de peur permanente.
Pendant les décennies où Castro a occupé le pouvoir, le déni des libertés a été implacable, et s’est même intensifié à certains moments, comme lors de la répression de 2003, appelée le « Septembre noir », contre 75 défenseurs des droits humains, journalistes, syndicalistes et autres critiques du gouvernement. Ces individus ont été accusés d’être des « mercenaires » au service du gouvernement américain et ont été sommairement jugés lors de procès à huis clos. Beaucoup ont été détenus pendant des années dans des conditions inhumaines, soumis à de longues périodes d’isolement et à des passages à tabac, et se sont vu refuser des soins médicaux de base même lorsqu’ils étaient gravement malades.
De nombreuses stratégies abusives furent développées pendant que Castro était au pouvoir, puis dans les années qui suivirent. La surveillance permanente, les coups, les détentions arbitraires et les actes publics de répudiation continuent d’être utilisés par le gouvernement cubain aujourd’hui.
Le gouvernement cubain a toujours refusé de reconnaître la légitimité des organisations cubaines de défense des droits humains, des organisations politiques alternatives, des syndicats indépendants ou d’une presse libre. Elle n’a pas non plus permis à des observateurs internationaux, comme le Comité international de la Croix-Rouge, et à des organisations non-gouvernementales internationales de se rendre sur l’île pour enquêter sur la situation des droits humains dans le pays.
Les lois orwelliennes qui ont permis l’emprisonnement de milliers d’opposants durant l’histoire restent en place. Le gouvernement cubain continue de réprimer les individus et les groupes qui critiquent le gouvernement ou revendiquent les droits fondamentaux. Les arrestations arbitraires et les détentions de courte durée sont courantes et empêchent les défenseurs des droits humains, les journalistes indépendants, entre autres personnes, de se réunir ou de se déplacer librement. La détention préventive des habitants de l’île est souvent pratiquée afin d’empêcher la participation à des marches pacifiques ou à des rassemblements politiques.
Ces dernières années, l’accès à Internet, même limité, a permis à de nombreux Cubains de s’exprimer librement, sur des sites d’opposition au régime et, plus récemment, sur les réseaux sociaux. Le régime a promulgué une nouvelle législation pour réprimer les droits fondamentaux des Cubains. Ainsi, parmi les changements législatifs les plus négatifs, on trouve le décret-loi 349, qui criminalise l’expression artistique si elle n’obéit pas aux règles imposées par le ministère de la Culture. Cette loi a provoqué une vague de répression contre les artistes, ce qui a conduit plusieurs membres du collectif Movimiento San Isidro, dont fait partie l’artiste Luis Manuel Otero Alcántara, à entamer une grève de la faim pour protester contre la détention du rappeur Denis Solis, condamné à huit mois de prison dans un procès sommaire pour un prétendu outrage. En décembre dernier, un mouvement d’une ampleur sans précédent se développa à La Havane pour réclamer la libération des opposants de San Isidro et Denis Solis.
Une autre loi restrictive est le décret-loi 370, qui criminalise la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, avec la possibilité pour les journalistes qui refusent de payer les amendes qu’on leur impose d’être jetés en prison. Ce décret a été utilisé massivement contre les journalistes indépendants. par le régime cubain lors de la crise de la Covid-19.
La nouvelle constitution d’avril 2019, la plus importante de toutes les normes qui régissent la vie des Cubains, loin d’apporter de nouveaux droits marque aussi la supra-constitutionnalité du Parti communiste en tant qu’organe suprême du pouvoir de l’État de Cuba. La constitution déclare irrévocable le système dictatorial actuel, de sorte qu’il retire au peuple toute souveraineté quant à son avenir.
Il est malheureusement dommage qu’il ne soit pas plus question dans l’ouvrage des voix dissidentes de ce que l’on appelle à Cuba la gauche alternative. Une gauche qui s’inscrit dans un panorama politique, social et culturel qui se dessine aujourd’hui dans l’île et où des groupes informels de jeunes travailleurs, d’artistes et d’universitaires se retrouvent autour de différents projets indépendants des structures officielles dominées par un État tentaculaire et dictatorial. Dans un spectre politique allant des marxistes critiques aux anarchistes, ces activistes s’opposent, autant qu’au pouvoir castriste, aux dissidents des organisations et des groupes de droite et d’extrême-droite cités dans le livre.
Ces organisations sont les représentantes à Cuba de l’ancienne oligarchie cubaine parrainée par les États-Unis depuis 1960. La base sociale et économique de cette force est ce qu’on appelle « l’exil historique », composé essentiellement de Cubains qui ont émigré après 1959 et sont porteurs d’une matrice idéologique caractérisée par une opposition à tout ce qui pourrait représenter un changement social profond à Cuba. Mais aussi d’une volonté farouche de récupérer les entreprises et les terres dont le régime castriste les a dépossédées. Une position qui a été constamment nourrie par le fondamentalisme conservateur américain.
À l’échelle internationale, les organisations cubaines de droite sont liées aux conservateurs nord-américains et entretiennent des liens historiques avec l’extrême droite latino-américaine qu’elles ont soutenue lors des putschs militaires en Argentine, au Brésil et au Chili notamment.
La Fondation nationale cubano-américaine (FNCA) née en 1980 à l’initiative de la CIA et de Ronald Reagan, avait pour but d’apporter un soutien politique et économique aux organisations anticastristes afin qu’elles s’implantent sur l’île à l’aide de capitaux américains. La droite et l’extrême droite cubaines sont intégrées au sein du mouvement conservateur américain, notamment par le biais du Parti républicain et ses lobbys, où elles ont atteint une visibilité très importante. Plusieurs hommes politiques aux États-Unis sont issus de l’exil cubain, ils sont adulés par la dissidence conservatrice à Cuba. Citons pour exemples Ted Cruz et Marco Rubio, les sénateurs ultraconservateurs et ultralibéraux de Floride et du Texas.
En 2018, Donald Trump a approuvé un financement de 20 millions de dollars pour la « promotion de la démocratie à Cuba » destiné essentiellement à des organisations et des groupes de droite et d’extrême droite agissant sur le territoire de Cuba. En Floride, Donald Trump s’est appuyé sur cette force américano-cubaine pour ses projets de réélection en 2020. En échange de ce soutien, Trump leur a accordé une place de premier plan dans la conception et la mise en œuvre de sa politique en Amérique latine, notamment en les plaçant à des postes de pouvoir au sein de la bureaucratie gouvernementale qui s’occupe de cette sphère.
Tout dernièrement, l’administration Trump a remis Cuba sur la liste des « États soutenant le terrorisme ». C’est un acte de vengeance qui affectera le peuple cubain et ne fera rien pour faire véritablement avancer les droits humains. Il s’agit d’une sanction très cynique et hypocrite, car Trump et ses alliés savent très bien qu’il n’y a aucun élément de preuve contre l’île. Le retour de Cuba sur cette liste noire, aux côtés de l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie, restreint son commerce extérieur et expose les investisseurs étrangers sur l’île à des poursuites aux États-Unis.
En 2019, l’administration Trump a renforcé l’embargo – en vigueur depuis 1962 – via plus de 80 mesures, dont la moitié à caractère économique : obstacles à la livraison à Cuba de pétrole vénézuélien, pressions et poursuites contre des banques et entreprises étrangères travaillant avec l’île, restrictions aux visites des Nord-américains. Durant les quatre années de son unique mandat, Donald Trump, s’adressant volontiers à l’importante communauté d’exilés cubains de Floride, un électorat-clé dans un État-clé, n’a cessé de revenir sur la politique d’ouverture de son prédécesseur et de durcir le sévère embargo imposé à l’île des Caraïbes depuis 1962. Conséquence de cette politique dont les principales victimes sont les habitants de l’île, lors des dernières élections présidentielles nord-américaines, Donald Trump a reçu le soutien de nombreuses organisations de la droite et de l’extrême-droite cubaines et 54 % des votes cubano-américains.
Le groupe américain ultra-violent et néo-fasciste Proud Boys, qui a été au centre de l’attention des médias durant l’occupation du Capitole en soutien à Trump, est dirigé par un Cubain lié aux secteurs d’extrême droite et à la machine républicaine de Floride. Il s’appelle Enrique Tarrio et il est né à Miami il y a 34 ans. Les Cubains faisant partie des Proud Boys sont les héritiers des groupes de mercenaires cubains, qui comme le mouvement Alpha 66, opéraient sur l’île dans les années 1960 et 1970 afin de déstabiliser le régime castriste et se livraient à des actes terroristes ayant principalement pour victime la population civile. Ces groupes sont l’expression de la haine, de l’agressivité et de la frustration de leurs membres, heureusement minoritaires dans la communauté cubaine aux États-Unis. Ils méprisent les habitants de Cuba et glorifient la violence politique et le terrorisme.
Tous les dissidents cubains – parmi eux certains que l’on retrouve dans le livre – ne sont pas porteurs de projets politiques qui vont dans le sens de plus de démocratie et plus de participation citoyenne à Cuba. Ils sont à la solde du gouvernement américain et des puissants lobbys cubano-américains, et défendent les programmes économiques ultralibéraux que ces lobbys souhaitent imposer aux habitants de l’île.
Depuis octobre 2019, l’auteur, sans relation directe avec Cuba et n’y ayant jamais voyagé, a réussi à travers ses contacts sur les réseaux sociaux, à rapporter sur son blog personnel les cas concrets de cette répression. C’est le principal mérite de l’ouvrage, même s’il manque de repères historiques et politiques pour comprendre la nature profonde du régime et du système de répression mis en place par les barbudos à partir de 1960.
Depuis de nombreuses années, il existe à travers la planète de nombreux collectifs qui accomplissent un travail d’information sur la situation des droits humains et pour faire connaître le travail des activistes qui luttent à Cuba pour créer une alternative démocratique et sociale au régime castriste. Le livre de Floréal Melgar vient compléter ce travail, il permet de donner la parole aux voix dissidentes, quelles qu’elles soient, à ceux qui se battent contre la dictature et sont frappés par une répression impitoyable menée par la Police nationale révolutionnaire et les corps d’État inféodés au pouvoir dominant.
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Daniel Pinós
Cuba. Chroniques d’un cauchemar sans fin, Floréal Melgar, L’Esprit frappeur, 2020, 266 pages, 5 euros.