« ELOGE DE FIDEL CASTRO ». UN TEXTE INÉDIT DE REINALDO ARENAS
L’écrivain Reinaldo Arenas a écrit son « Eloge de Fidel Castro » en 1990, peu avant sa mort à New York.
Ce curieux article de l’écrivain cubain Reinaldo Arenas était resté inédit jusqu’à 2017. Il y a 18 ans, le quotidien français Libération en avait publié un bref extrait. Arenas l’avait écrit en mars 1990, peu avant sa mort, sur la proposition de Liliane Hasson, sa traductrice française, sa grande amie, la conseillère littéraire de ses exécuteurs testamentaires et sa rigoureuse biographe, dont le livre sera publié prochainement aux éditions Actes Sud. La prose débordante du romancier cubain est tempérée dans ce texte pour dessiner avec ironie et distance un portrait à la fois rétrospectif et prospectif de Fidel Castro. Il le dénude et le visite dans un « éloge » à la manière des grandes épigrammes. Nous nous trouvons devant un témoignage plus que d’actualité, écrit avec son meilleur style littéraire, et qui contient des vérités incontestables sur son positionnement politique et sa vision du drame cubain.
Reinaldo Arenas a eu une vie tragique et parfois semblable à des parcelles de son œuvre. Il a lutté pour sa liberté personnelle, il a défendu son œuvre jusqu’à l’obsession et la clandestinité, ainsi que la culture cubaine comme monument dont il savait qu’il faisait partie. Il fût interdit, frappé, brutalement persécuté, incarcéré et finalement jeté dans le détroit de Floride dans une embarcation de fortune qui le mena aux Etats-Unis, dans le triste exode forcé de El Mariel. Depuis son exile, il a conservé le même avis sur lui-même, sur Cuba et sur Castro. Il ne s’est jamais non plus senti à son aise à New York ni à Miami. Ses amis les plus proches disent qu’il avait plus d’affinités avec le Vieux Continent. Son autobiographie « Avant la nuit » a été adaptée au cinéma. L’acteur espagnol Javier Bardem a frôlé l’Oscar pour son interprétation dans ce film de la figure de l’écrivain cubain.
Roger Salas
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En cette période où presque tous les pays communistes marchent vers un processus démocratique, Fidel Castro s’est cloué au pilori de l’opinion publique pour avoir refusé d’accepter un quelconque changement, ni rien qui ait un air de perestroïka ou de démocratie. Moi, pourtant, avec mon esprit de contradiction, au lieu de critiquer le « Lider Maximo », je vais faire ici un bref récapitulatif de ses vertus.
Homme politique calculateur et astucieux, quand il prit le pouvoir en 1959, il avait trois options : 1) la démocratie, avec laquelle il aurait gagné les élections à l’époque, mais il aurait bénéficié d’un pouvoir éphémère et partagé avec l’opposition. 2) la tyrannie de droite ou conventionnelle, que n’offre jamais une sécurité absolue ni un pouvoir illimité. 3) La tyrannie communiste, qui à ce moment-là, en plus de le couvrir de gloire, semblait lui assurer un pouvoir à vie. Habile, Castro opta pour ce choix.
Profond philosophe, il a fait comprendre d’une manière ou d’une autre à ses sujets que la vie matérielle est chose futile, à tel point qu’il n’existe à Cuba presque aucune chose matérielle, et que le taux de suicides, selon des études étasuniennes sérieuses, est le plus élevé d’Amérique Latine.
Intellectuel lucide, il comprit que la majorité des artistes sont victimes d’un ego hypertrophié. A partir de 1959, il a commencé à inviter des écrivains remarquables, les recevant personnellement et leur montrant ce que lui voulait qu’ils voient. Castro a créé des prix littéraires internationaux, a fait la promotion de certains intellectuels fidèles, allant jusqu’au Prix Nobel, comme c’est le cas de Gabriel Garcia Marquez.
Economiste supra intelligent, il a instauré depuis près de trente ans le ticket de rationnement grâce auquel il évite l’inflation économique dans son pays, étant donné que le peuple ne peut presque rien consommer. De plus, il se consacre, par l’intermédiaire de ses généraux les plus distingués et avec la participation de Raul Castro (comme le constatent des documents publiés), au trafic international de drogues, ce qui lui apporte une importante entrée d’argent qui peut lui servir à financer son appareil de propagande à l’étranger et inciter la subversion armée en Amérique Latine.
Sexologue expert, il a préparé de magnifiques armées juvéniles qui agissent en tant que guide touristiques, traducteurs et qui divertissent gentiment autant les dames que les messieurs invités.
Eleveur et agriculteur notoire, il a réussi à faire qu’une vache (Ubre Blanca) donne tous les jours plus de cent litres de lait. Le pauvre animal a crevé et le lait continue d’être rationné à Cuba, mais le souvenir de Ubre Blanca reste dans la presse de l’époque et Castro a ordonné qu’on modèle de nombreuses copies de cet extraordinaire exemplaire bovin. En 1970, Castro a dit qu’il produirait dix millions de tonnes de sucre et « pas une livre de moins », et il ne s’est trompé que de deux millions de tonnes.
Elève appliqué et fidèle à son maître, il a suivi avec une orthodoxie irréprochable les leçons de Staline : d’une manière ou d’une autre il est débarrassé de ses adversaires politiques ou des personnages qui pouvaient assombrir sa gloire, de Hube Matos à Carlos Franqui, ou encore de Camilo Cienfuegos à Ernesto Guevara. Il a créé en 1961 les camps de concentration pour dissidents de toute sorte et il les a officialisés en 1966 en leur donnant l’ingénieux titre d’UMAP (Unités Militaires d’Aide à la Production). Il a transféré des villages entiers qui se trouvaient dans des zones de foyers de guérilleros anticastristes, vers de nouvelles villes parfaitement surveillées. Comme il l’a fait avec de nombreux paysans qui vivaient dans la province de Las Villas, lesquels durent s’en aller vivre dans une ville préfabriquée dans la région de Pinar el Rio, appelée Ciudad Sandino. Aussi, depuis près de trente ans, Castro met en pratique les purges politiques et les rétractations publiques. Dans ces situations, l’accusé, après avoir passé de nombreuses semaines ou mois dans les cellules de la Sécurité de l’Etat, avoue avoir commis tout type de crime, être un misérable et un traître contre-révolutionnaire et, bien entendu, un infidèle à Castro. Des exemples : le procès public de Marcos Rodriguez (fusillé en 1964), le procès du général Arnaldo Ochoa (fusillé en 1989) ou la confession de Herberto Padilla, dans lequel il dénonçait même ses amis les plus intimes et sa propre épouse, en 1971. Fidèle à sa politique de « bloc monolithique », Fidel Castro a approuvé publiquement l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, l’invasion de l’Afghanistan et le massacre par l’armée chinoise des étudiants de la place Tienanmen.
Homme d’Etat sagace, Castro sait parfaitement qu’un dictateur ne doit pas faire de référendum, en effet il perdrait le pouvoir. D’où ses fureurs, de son point de vue justifiées, contre tous les intellectuels (dont six prix Nobel) qui lui ont envoyé une lettre ouverte lui demandant de manière civilisée qu’il organise des élections libres. Castro a habilement refusé de consulter le peuple, ce que d’autres dictateurs moins rusés, pensant qu’ils allaient gagner, avaient accepté de faire. Voyez les échecs dramatiques du général Augusto Pinochet et du commandant Daniel Ortega.
Rien ne peut nous surprendre dans l’attitude actuelle de Fidel Castro. Tout au long de plus de trente et un ans au pouvoir absolu, il est toujours resté fidèle a lui-même, gouvernant avec une telle habilité machiavélique qu’aujourd’hui il est un des uniques héritiers de Staline qui persiste sur le trône.
Au peu de gens qui restent encore ravis par l’image « revendicatrice » et même « héroïque » du Commandant en Chef, qu’ils ne se fassent pas d’illusion. Ce même Castro a dit à travers son armée qu’il « ne céderait pas d’un millimètre quant à son idéologie » et il a déclaré qu’il « préférait que l’île se noie dans la mer avant de renoncer à ses principes politiques »… Bien sûr que c’est au peuple cubain de décider s’il veut cette noyade apocalyptique ou s’il préfère vivre en paix et en liberté comme le fait aujourd’hui heureusement une grande partie de l’humanité.
Reinaldo Arenas
Traduction de l’article & du texte par Lamalie.