Quand Castro envoyait les homosexuels dans des camps
En 2010, Fidel Castro, qui avait quitté le pouvoir pour raison de santé depuis quatre ans, reconnaissait dans un journal mexicain sa culpabilité pour la persécution des homosexuels dans les années 60-70, mais affirmait sa volonté ensuite de faire évoluer une société traditionnellement machiste. Aujourd’hui, l’Etat rembourse les opérations de chirurgie transsexuelle.
“Après mon arrivée au pouvoir, les représentants des minorités sexuelles étaient persécutés… C’étaient des moments de grande injustice… de grande injustice !“, a reconnu le leader de la révolution cubaine dans un entretien exclusif de plus de 5 heures – on ne perd pas ses bonnes habitudes- au quotidien mexicain La Jornada publié le 31 août 2010.
Le Parti Communiste est-il responsable ? “Si quelqu’un doit en assumer la responsabilité, c’est moi”, insiste le père de la révolution cubaine qui, affaibli par ses graves problèmes de santé, a dû en 2006 céder le pouvoir à son frère Raul, après 48 ans à la tête du gouvernement. “Oui, l’image de la révolution à l’international en a pâti”, a-t-il encore acquiescé.
Sans toutefois se priver d’expliquer qu’à cette époque, les “problèmes compliqués” de son pays l’ont détourné de ceux des minorités sexuelles : “Nous n’y faisions pas attention… il faut s’imaginer ce à quoi ressemblaient les premiers mois de la révolution : la guerre, les armes, les attentats contre moi”, faisant référence entre autres à la baie des Cochons en 1961, à la Crise des Missiles en 1962, aux incursions militaires, aux poursuite de la CIA.
Homosexuel = produit de la société capitaliste
Parallèlement à ces événements, la révolution de 1959 signe le début d’une chasse aux contre-révolutionnaires, donc aux homosexuels, perçus comme produits de la société capitaliste et “agents de l’impérialisme”.
«Au nom d’une moralité confuse et incertaine, les hippies, les homosexuels, les témoins de Jéhovah, les artistes idéologiquement ‘diversionnistes’, sont envoyés dans des camps appelés Unités militaires d’aide à la production (Umap) (…). Ils constituent la catégorie de citoyens dont la conduite est ‘impropre’”, explique le sociologue Vincent Bloch, auteur de Rôle de la terreur dans le genèse d’un pouvoir totalitaire à Cuba.
Le débat se poursuit encore aujourd’hui sur la nature des Umap, créées en 1965 pour faire participer à la récolte de canne à sucre tous ceux qui réussissaient à échapper au service militaire. Supprimés 18 mois plus tard, en 1967, à la suite de pressions internes et internationales, considérés par la gauche comme une atteinte au principe d’égalité socialiste, ils sont décrits par la droite comme des “camps de concentration”. Une thèse appuyée par Le Livre noir du communisme, qui décrit des conditions de vie et des traitements très rudes.
Mais sur le sort réservé aux “maricones” (“pédés”), considérés comme déviants, les historiens s’accordent: “Il fallait les ‘transformer’, c’était l’idée de l’époque (…). Même les psychiatres pratiquaient des thérapies pour les faire devenir hétérosexuels“, assure Mariela Castro, nièce de Fidel Castro et militante LGBT, au journal Clarin. Si elle réfute l’appellation de “camps” et justifie leur existence dans le cadre d’une “période tourmentée”, elle reconnaît la “violation des droits de ces personnes” qu’a constitué l’enfermement dans ces camps.
Fraise et Chocolat, un film contre la persécution des gays… et financé par l’Etat
Pendant cette période, à La Havane, les homosexuels sont bannis de l’éducation, des arts… La révolution de l’île caribéenne se radicalise. Les écrivains doivent censurer leurs écrits. Parmi eux, l’écrivain cubain Reinaldo Arenas, persécuté et interdit de publication, dont l’autobiographie Avant la nuit a été portée à l’écran en 2000 par Julian Schnabel. Un succès public et critique qui égale celui du déjà très populaire Fraise et Chocolat en 1993, premier film traitant de la discrimination des gays par le Parti communiste dans les années 70 et 80… et financé en partie par l’Etat.
Un financement symbolique d’une évolution considérable des mentalités, depuis la fin des années 70. Dépénalisée en 1979, l’homosexualité “ostenstible” cesse d’être poursuivie en 1988, avec le soutien de Fidel Castro qui déclare : “Il est temps de changer les attitudes négatives envers les gays dans le Parti et la société.” Les dernières références homophobes sont supprimées de la loi cubaine en 1997.
Gratuité des opérations de changement de sexe
La nièce de Fidel Castro, Mariela, psychologue et fille du président Raul Castro, y est pour beaucoup. Activiste de premier plan dans la défense des droits des gays et lesbiennes à Cuba, le Centre national d’éducation sexuelle (Cenesex) qu’elle dirige est un laboratoire actif responsable de nombreuses avancées. Qui aurait pensé que le régime castriste puisse autoriser, depuis 2008, les opérations de changement de sexe de personnes transsexuelles, et même les financer, en 2010 ?
En décembre 2008, Cuba fait partie des 66 pays de l’ONU à avoir signé une déclaration en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Comparée au reste de l’Amérique latine, la condition des homosexuels à Cuba paraîtrait donc assez favorable, si on ne trouvait pas régulièrement dans la presse des témoignages d’une réalité moins glorieuse. Comme celui de la BBC qui, en 2004, rapportait le lancement par la police cubaine d’une “campagne de harcèlement policier contre les homos”.
Annabelle Laurent
Les Inrockuptibles