Juliette Touin, réalisatrice de Cuba Underground. “Cuba ne se réduit pas à la salsa et aux cigares”
Diffusée depuis le 15 janvier sur Arte, la websérie Cuba Underground propose d’explorer les milieux alternatifs de l’île caribéenne. Juliette Touin, sa réalisatrice, revient sur la genèse de ce projet immersif.
C’est une autre vision de Cuba que nous expose aujourd’hui Juliette Touin. À travers la websérie Cuba Underground, dont nous vous parlions déjà la semaine dernière, la réalisatrice française, remarquée en 2016 pour son documentaire Un Temps de réflexion, nous entraîne en effet hors des sentiers battus, loin des senteurs de cigare et autres morceaux de salsa auxquelles est trop souvent réduite la petite île caribéenne. À travers ses 10 épisodes, Cuba Underground capture ainsi le quotidien d’une poignée de Cubains qui, en se passionnant dans des cultures différentes de celles prônées par le gouvernement, tentent de réinventer La Havane.
Parmi eux, des chanteurs de reggaeton, la musique la plus populaire d’Amérique latine, accusée par les autorités de pervertir l’héritage culturel du pays ; des skateurs, qui s’efforcent de faire reconnaître leur discipline malgré l’absence problématique de skate-shops et autres structures adaptées ; ou encore la communauté LGBTQ+, dont les membres, criminalisés jusque dans les années 1980, font aujourd’hui plus que jamais entendre leur voix. Une plongée immersive et passionnante, sur laquelle Juliette Touin revient aujourd’hui pour nous.
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À quel point étiez-vous familière avec Cuba avant de vous y rendre pour tourner Cuba Underground ?
J’ai beaucoup d’affection pour ce pays. J’y ai étudié pendant trois ans, lorsque je faisais des études de cinéma à l’EICTV (École internationale de cinéma et télévision). Depuis, j’y retourne régulièrement. Mais y retourner pour réaliser un documentaire et travailler avec les personnes avec lesquelles j’ai étudié, c’était symbolique pour moi. C’était comme fermer un cycle. Donc oui, c’est un pays que je connais bien, même s’il ne cesse de me surprendre.
Comment est née l’idée de réaliser Cuba Underground ?
L’idée vient du producteur de la série, Tancrède Ramonet. Nous nous sommes rencontrés à l’époque où j’étais étudiante, il y était professeur. De retour en France, il m’a proposé dans ses grandes lignes le projet, qui m’a tout de suite plu. À partir de là, je me suis lancée dans l’écriture.
Nous avions en commun le fait que nous étions un peu exaspérés, voire déçus du traitement médiatique donné à Cuba. D’une part, on voulait s’éloigner de la polémique pro/anti castriste, et donner à voir des jeunes qui malgré tout s’expriment ; et d’autre part, nous désirions montrer une Cuba qui ne se réduit pas à la salsa, aux cigares et à la vieille Havane.
Comment êtes-vous parvenue à dégager les dix thématiques que ce projet explore ?
Cela a été assez simple, finalement. Nous nous sommes posés cette question : quelles sont les cultures et mouvements culturels marginaux à Cuba en dehors de la salsa, du son, et de la rumba ? Évidemment, pour la plupart, on retrouve les grands mouvements alternatifs que l’on retrouve partout ailleurs – et d’ailleurs, on pourrait même être attristé de se dire que Cuba s’occidentalise.
C’est l’une des remarques qui revient assez souvent après le visionnage de la série. D’une part, il ne faut pas oublier que ce sont des cultures marginales à Cuba et d’autre part pourquoi nous, Occidentaux, juger des jeunes qui comme partout ailleurs veulent écouter du rap (même s’il est américain), veulent se surpasser en skate, ou chanter du viking metal en anglais ? Je ne pense pas qu’ils renient leur culture pour autant.
Comment avez-vous été accueillie par les personnages que l’on découvre dans Cuba Underground? Ont-ils accepté facilement de participer à votre projet ?
J’ai été très bien accueillie et ce sont des gens complètement accessibles. D’ailleurs, je les remercie énormément, car ils sont l’âme de cette série. Les milieux alternatifs de La Havane sont très petits, et interconnectés. Loin de moi l’idée d’être réductrice, mais généralement, pour vous donner un exemple : ceux qui font du hip-hop sont tatoués, les tatoueurs font du skate et du graff et vont au concert de hip-hop, etc. Tout ça pour vous dire que la plupart se connaissent bien les uns les autres.
Parmi les dix thématiques évoquées dans Cuba Underground (l’émergence de la scène skate, le combat LGBTQ+, la féminisation du reggaeton…), quelle est celle qui vous a le plus marquée ?
J’ai vraiment aimé rentrer dans tous ces univers. Mais si je devais en choisir un, je choisirais sans doute le tuning, parce que c’est le seul univers que je ne connaissais absolument pas avant de faire cette série. En trois ans de vie à Cuba, je ne savais pas que cela existait, que ces passionnés se réunissaient pour faire des compétitions de 360. Beaucoup d’amis cubains ont eux-mêmes été très surpris.
Y a-t-il un moment, durant le tournage, qui vous restera particulièrement en mémoire ?
L’une des choses que je retiens de ce tournage, ce sont surtout les personnes et artistes que j’ai rencontrés. Ce sont vraiment de très belles personnes, qui gagnent à être connues et reconnues.
Avez-vous le sentiment que le gouvernement cubain finira par soutenir les diverses communautés que vous illustrez à travers Cuba Underground ?
Je ne saurais pas me prononcer. La seule chose que je peux dire, c’est que malgré les difficultés que citent les personnages dans la série, eux-mêmes le disent : ils se débrouillent pour faire ce qu’ils aiment faire, même si c’est contre vents et marées. Comme l’explique Coqui, l’un des tatoueurs présents dans la série : “Le tatouage n’est ni légal, ni illégal – en attendant, on tatoue.”
Naomi Clément. Konbi France