El Libertario (Venezuela) : « Le chavo-madurisme n’est rien moins qu’une dictature pure et simple »
Le Venezuela est en prise avec un mouvement social sans précédent. Le gouvernement Maduro se maintient au pouvoir et use d’une sanglante répression, faisant peser le spectre d’une véritable guerre civile. L’illusion d’une prétendue « Révolution bolivarienne » au service du peuple, telle qu’elle était vendue par Hugo Chavez à l’aube du XXIe siècle, craquelle sous le joug d’une réalité sociale dramatique. Entretien avec des militant-e-s du groupe El Libertario de Caracas sur leur action et leur analyse.
Alternative Libertaire : Depuis quatre mois, la situation politique et sociale au Venezuela est très tendue avec des manifestions constantes contre le gouvernement Maduro. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette révolte ?
El Libertario : Le gouvernement prétend que ce mouvement est le résultat d’une vaste conspiration de l’impérialisme US, de la bourgeoisie et de l’opposition d’extrême droite. Cette explication, très empreinte de vieilles recettes staliniennes, est simpliste et en grande partie fausse.
Les causes essentielles du mécontentement sont en lien avec la situation économique qui est catastrophique, conséquence de notre dépendance exclusive de l’exportation de “notre” pétrole. Maintenant, que cette extraction est moindre et que, surtout, les cours du pétrole sont en chute libre, c’est toute l’économie du pays qui s’en ressent. Le mirage économique du Venezuela de Chavez et l’idée fausse de cette inépuisable rente pétrolière, qui il y a quelques années faisait encore illusion de “construire le socialisme”, est entrain de s’effondrer, et avec eux les acquis sociaux et une paupérisation vertigineuse des classes populaires.
Un autre aspect à mettre en avant, dans ce contexte de révolte populaire, a trait à la nature même des gouvernements qui se sont succédé depuis 1999, avec comme caractéristiques communes : une corruption galopante, une incompétence réelle et un autoritarisme exaspérant avec son lot de répression et de violence d’Etat.
Aujourd’hui, le “chavo-madurisme” n’est rien moins qu’une dictature pure et simple.
L’opposition institutionnelle au Chavisme, une alliance de partis socio-démocrates et de droite, appelée Table d’Unité Démocratique (MUD), prétend être l’unique représentant de ces manifestations de masse. Dans les faits, le mouvement est la conséquence de la crise économique et de la lassitude populaire de voir cette caste politico-militaire s’accrocher au pouvoir.
Élément relativement nouveau, c’est la participation, désormais, massive aux manifestations du “peuple d’en bas”. Quels éléments expliquent cette rupture entre le peuple et le Chavisme ?
Il y a toujours eu des secteurs critiques au sein du peuple, notamment dans le monde syndical, qui ne nourrissaient aucune confiance envers les sirènes de Chavez. Ces groupes minoritaires il y a encore 14 ou 12 ans, n’ont cessé de croître avec la disparition de l’incontestable charisme de Chavez, dont la mort coïncida avec le recul des recettes de la rente pétrolière.
A partir de là, a cessé l’illusion de l’inconditionnel appui populaire du régime, et ce d’autant que devenaient patent ses dérives (corruption, inefficacité et répression).
Un des symboles de ce divorce, a trait à la politique sociale du Chavisme. Pendant des années, le régime vantait sa politique sociale, en lien avec une supposée répartition et redistribution des ressources issues du pétrole. Il mettait, notamment, en avant de ce que l’on appelait les “missions”, à savoir : un vaste programme visant à améliorer le quotidien des plus pauvres (magasins populaires, assainissement des quartiers, droit à la santé et à l’éducation). Depuis l’avènement de Maduro, les “missions” ont été stoppées net. D’où l’accroissement du mécontentement et de l’implication, désormais, des classes populaires dans le processus actuel de mobilisation.
Quel est le rôle joué et le poids du mouvement libertaire au sein de ce mouvement contre Maduro ?
L’anarchisme a toujours été présent dans la tradition historique de la lutte de classe au Venezuela, comme dans une grande partie, d’ailleurs, des pays d’Amérique latine. Une tradition, néanmoins, plus faible aujourd’hui, en dépit des efforts que nous efforçons de faire, depuis 1995, autour de notre groupe et de notre journal El Libertario.
Même si incontestablement, nous représentons une minorité militante dans le paysage politique du pays, nous tâchons de nous inscrire dans toutes les luttes sociales.
Nous y affirmons notre identité en opposition envers toute forme de pouvoir autoritaire (qu’il se dénomme “gouvernement” ou partis d’opposition). Nous y défendons nos mots d’ordre : autogestion, action directe et autonomie des mouvements sociaux.
Quelles perspectives ouvre ce cycle de contestation ? Ne craignez vous pas que la fin possible du Chavisme ne soit pas pas du pain béni pour un retour aux affaires de la vieille oligarchie aux ordres de Washington ?
De notre point de vue libertaire, nous luttons pour une société égalitaire, la liberté et la fraternité. Aussi, notre perspective immédiate est la bataille, frontale et sans concession, que nous menons contre la caste “chavo-maduriste”, qui sous couvert de discours pseudo “socialiste” et “révolutionnaire” détient, pour l’heure encore, les rênes du pouvoir.
En même temps, nous ne nous faisons aucune illusion sur ce qui pourrait advenir sitôt le Chavisme renversé. Nous avons la conviction, en tant qu’anarchistes, que notre lutte se poursuivra quel que soit le gouvernement au pouvoir, qu’il soit aux ordres de l’impérialisme yankee ou de La Havane.
Propos recueillis et traduction par Jérémie Berthuin (Alternative libertaire Gard)
Plus d’informations sur la situation sociale et politique au Venezuela sur le Blog El Libertario : http://periodicoellibertario.blogspot.com.
Articles en français sur le Venezuela et le mouvement libertaire sur : http://www.nodo50.org/ellibertario
Le site d’Alternative libertaire : http://www.alternativelibertaire.org