Ma Havane
Le journaliste et blogueur d’origine uruguayenne Fernando Ravsberg vit à Cuba depuis 25 ans. En tant que correspondant de BBC Monde et grâce à un regard critique, il a permis, par son blog « Cartes en provenance de Cuba » à des milliers de personnes habitant en dehors de l’Île de se pencher sur la réalité cubaine.
« On ne peut pas choisir où l’on naît mais parfois, on peut décider où vivre… Et moi, j’ai fait ce choix. Il y a 25 ans, j’ai posé mes bagages à Cuba après une vie de nomade. J’y ai fondé une famille, j’ai vu grandir mes enfants, je me suis fait de bons amis et aujourd’hui encore, je reste persuadé que je ne me suis pas trompé ». Il nous parle aujourd’hui de La Havane, sa « ville mythique ».
Certains de mes amis se moquent parce que La Havane a été élue l’une des 7 villes merveilleuses. Ils écrivent au sujet des montagnes de déchets dans les rues, du miraculeux maintien statique des immeubles en ruine, des dégargements d’eau provenant des bouches d’égout et des nids-de-poule aussi grands que des tranchées.
Ce qu’ils racontent est la vérité, la stricte vérité même… Mais malgré tout, je reste persuadé que La Havane est une ville magique. Elle reflète le charme d’une belle femme d’âge mûr, dont les rides et les rondeurs n’altèrent en rien sa sensualité et son attirance.
Sa folle architecture a supporté le poids des années, les cyclones et les agrandissements clandestins. Un demi-siècle sans aucun entretien immobilier ni de nouvelles constructions a entraîné l’effondrement de centaines de bâtiments mais a également permis de préserver ceux qui sont restés debout.
A La Havane, personne ne démolit des immeubles, ils tombent d’eux même ou bien ils sont restaurés tels qu’ils étaient à leur construction. La ville offre toute une variété d’époques et de styles qui cohabitent parfois dans un même pâté de maisons sans que cette mosaïque n’étonne personne.
Ce paysage en question est agrémenté d’automobiles ayant marqué l’histoire cubaine du XXe siècle. Des milliers de voitures américaines des années 40 et 50 circulent dans les rues, nous donnant ainsi l’impression que les mécaniciens ont découvert la source de la jouvence éternelle.
Les Ladas, Moscovich et « Polaquitos » nous rappellent également qu’il y eu une époque où La Havane se nourrissait de « l’aide désintéressée de l’Union Soviétique » avec de lourdes machines, capables de survivre pendant des décennies, jusqu’à ce que les russes décident de rentrer chez eux.
S’ajoutent aujourd’hui à cette liste, des voitures allemandes, françaises, espagnoles, japonaises et coréennes. Mais ce méli-mélo n’empêche pas de circuler dans la capitale sans être confrontés aux bouchons. Et tout porte à croire que cela ne changera point étant donné qu’une automobile coûte à Cuba dix fois plus cher qu’en Europe.
Mais ce qui compte le plus dans une ville n’est pas tant son architecture ou bien la circulation… mais bien ses habitants. Et c’est là que La Havane l’emporte haut la main comparé à de nombreuses autres villes du monde. Le havanais et la havanaise sont espiègles, pacifistes, farceurs, sympathiques et facilement abordables.
Les compliments des hommes ne contiennent pas la grossièreté présente ailleurs et il n’est pas nécessaire d’être très perspicace pour comprendre les avances des femmes. Les gens dans cette ville sont transparents bien qu’ils aiment répéter que « les habitants de La Havane ont échappé au diable ».
A La Havane, on peut percevoir la pauvreté mais on n’est pas confronté à la misère que l’on voit dans d’autres capitales. Il n’y a pas d’enfants vivant dans la rue ni souffrant de malnutrition. Quand tu arrives chez quelqu’un, on t’offre toujours un café et beaucoup de conversation car les habitants de La Havane ne se taisent jamais.
Il faut faire attention lorsqu’on demande son chemin car la phrase « je ne sais pas » a disparu de leur vocabulaire. Ils n’hésitent jamais, indiquent toujours une direction même s’ils n’ont aucune idée d’où se trouve la rue que tu cherches et sont ainsi satisfaits de t’avoir aidé.
La Havane est une ville où tous s’entremêlent. Riches, pauvres et classe moyenne vivent ensemble dans les mêmes quartiers, parcs et écoles. L’un de mes enfants a été dans la même classe préparatoire que l’aîné du vice-président de la République et s’asseyait à côté de la fille d’un maçon.
Les taux de violence sont au plus bas ; on vit sans crainte, avec la porte d’entrée ouverte. Les enfants jouent seuls dans les parcs. Tu peux monter dans un taxi sans avoir peur d’être kidnappé et tu dors sur des deux oreilles quand ton fils ou ta fille adolescente sort la nuit.
La Havane bouge doucement, on marche lentement, comme si personne n’était pressé d’arriver. La chaleur tropicale, les longues files d’attente que les habitants ont dû faire pendant des années et les sacs de nœuds des démarches administratives ont sans doute contribué à ce que la vie s’écoule « tout en douceur » .
C’est un rythme qui me manque dès que je pars à l’étranger quelques temps. Au retour, je sens que je suis rentré à la maison et je sors immédiatement me promener, afin de vérifier que tout est à sa place et que la ville continue d’avoir la même magie de toujours.
Je vis en sautant par-dessus des flaques d’eau, en retenant ma respiration lorsque je passe devant des bennes à ordures qui débordent, j’évite les immeubles ayant des étais, je supporte la musique de mes voisins et je subis la lenteur d’internet mais malgré cela, je l’aime toujours.
On ne peut pas choisir où l’on naît mais parfois, on peut décider où vivre ; et moi, j’ai fait ce choix. Il y a 25 ans, j’ai posé mes bagages à Cuba après une vie de nomade, j’ai fondé une famille, j’ai vu grandir mes enfants, je me suis fait de bons amis et aujourd’hui encore, je reste persuadé que je ne me suis pas trompé.
Fernando Ravsberg
Cartas de Cuba