Cuba change, sous la plume de Leonardo Padura
Le Cubain Leonardo Padura n’est pas seulement romancier, auteur de polars incarnés par le détective Mario Conde ou de L’homme qui aimait les chiens (éditions Métailié), mais aussi journaliste, collaborateur de l’agence Inter Press Service (IPS). Il avait débuté en 1980 dans El Caiman Barbudo, avant d’être muté vers le quotidien Juventud Rebelde.
Padura vient de publier à Cuba un recueil de chroniques sous un titre borgésien, La memoria y el olvido (La mémoire et l’oubli, aux éditions Caminos, La Havane, avec le soutien de l’Agence suisse pour le développement et la coopération), avec des textes écrits entre 2006 et 2011.
Cuba change, constate Padura. En effet, le sujet qui traverse ces chroniques est la transformation de la vie des Cubains, la crise du modèle socialiste, depuis que Raul Castro a pris la relève de son frère Fidel, malade.
Si la condition de témoin privilégié des changements lui pèse, comme le dit Padura dans une postface ironique où il envie la relative insouciance de Paul Auster, il s’en acquitte fort bien.
La Havane, ville que Padura ne se lasse pas d’arpenter et de scruter, lui sert de révélateur social et culturel. Il enregistre les dégradations architecturales et urbanistiques, les difficultés quotidiennes, la déliquescence de l’esprit civique, l’apparition des travailleurs à leur propre compte et des nouvelles tribus urbaines.
Padura chronique aussi l’évolution des mentalités, la manifestation au grand jour d’une diversité sexuelle longtemps étouffée, la levée d’interdits d’une autre époque, la tension suscitée par l’exode des jeunes et le vieillissement de la population.
Parfois, les personnages des romans de Padura s’immiscent dans ses chroniques. On y voit ainsi défiler le poète José Maria Heredia, Léon Trotski, son assassin Ramon Mercader ou encore la mère de ce dernier, Caridad, sans oublier Mario Conde, montrant le fil tenu qui relie la fiction et la réalité.
L’auteur consacre plusieurs textes aux débats intellectuels, portant à la fois sur un passé qui ne passe pas, et sur l’avenir plein d’incertitudes à l’heure des nouvelles technologies et du retrait de l’Etat tout puissant. La disparition de vieux musiciens et la polémique sur le reggaeton, la crise de l’industrie éditoriale, l’internationalisation de la littérature cubaine, ses relations avec l’exil, retiennent aussi son attention.
Padura est à la fois un observateur aiguisé et un commentateur réfléchi, qui remet en perspective les événements et tente de préserver l’espoir, sans perdre pour autant la lucidité. Il ne polémique pas, il ne s’en prend à personne, même lorsqu’il critique des comportements qui lui sont insupportables. Tolérance, respect, mesure, apaisement, coexistent avec une mémoire vivace, sans ressentiment, sans rancune.
La lecture de ces textes, où la description et la réflexion se nourrissent mutuellement, procure un sentiment mitigé. D’un côté, le lecteur est heureux de partager les découvertes et les émotions de l’auteur. D’autre part, il est difficile de ne pas s’inquiéter de la lenteur avec laquelle les changements répondent à l’attente des Cubains. Entre les remarques les plus anciennes de Padura et les plus récentes, six longues années se sont écoulées. Combien de temps encore faudra-t-il attendre ?
Paulo Antonio Paranagua/Le Monde
http://america-latina.blog.lemonde.fr/2012/02/23/cuba-change-sous-la-plume-de-leonardo-padura/