Les ruines d’Alamar et la poésie d’Omni Zona Franca
Alamar est à la fois le tombeau de l’utopie et le berceau de la poésie. En banlieue de La Havane, le quartier date d’une époque où l’homme nouveau devait être compatible avec les HLM. Aujourd’hui, les sinistres blocs coexistent avec les maisonnettes jadis occupées par les Soviétiques.
« Ville cosmopolite / Ses habitants n’y sont pas nés / Les Russes s’y sont mêlés / Aux exilés d’Amérique latine »
« Alamar … est une ville à part ». C’est là qu’est né le festival poésie sans fin, lancé par un groupe d’artistes qui aiment aussi la performance, la musique, les arts plastiques, la danse.
« Avec sa jupe et son casque, un de nos frères / Le mercredi marche à l’envers / Le lundi il préfère se taire / Et le jeudi il ne mange rien »
Ils s’appellent Amaury, Eligio, David, Rene, mais on les connaît sous l’appellation collective Omni Zona Franca. Quelques chanceux les ont vu en 2010 lors d’un passage fulgurant en France, qui leur valut au retour une saisie de leur matériel aux douanes de La Havane.
Pourtant, ils ne prêchent pas l’opposition mais la conciliation et l’amour :
« Amour pour le policier / Amour pour le pédé / Amour pour qui construit / Amour pour qui détruit … »
Bref, la poésie plutôt que l’idéologie, Saint-François, les rastas, l’hindouisme, plutôt que le machisme-léninisme. Omni Zona Franca est évoqué par l’une d’entre eux, Veronica Vega, dans un petit ouvrage enlevé, Partir, un point c’est tout (Aqui lo que hay es que irse), qu’on peut lire en français grâce aux éditions Christian Bourgois, une chance que les Cubains n’ont pas.
Veronica Vega raconte de l’intérieur, mais écrit avec sa subjectivité, quitte à mêler sa voix à celles d’autres, à leurs rimes et à leurs rêves.
Elle expose le parcours du combattant en vue d’obtenir les autorisations nécessaires pour répondre à une invitation arrivée d’Allemagne. La bureaucratie, les tracasseries, les suspicions.
Veronica Vega raconte aussi ses déboires de jeune femme (elle est née en 1965) qui élève son enfant seule, avec une mère qui n’a plus tout à fait sa tête, avec des proches partis sans crier gare. Le quotidien éprouvant, sous la moiteur des tropiques et les pénuries d’un socialisme en panne sèche. Les préjugés contre les cheveux longs, qui avaient faits des dégâts considérables dans les années 1960 et 1970, ont la vie dure.
Ce n’est pas la chronique d’Omni Zona Franca, c’est un récit qui a ses propres envolées. Ou alors, c’est une chronique à la manière si particulière de ce groupe touche à tout qui interprète la vie, la poésie, l’art et la musique comme une aventure sans fin.
Paulo Paranagua/Le Monde
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