Les cultures transgéniques à Cuba : un débat qu’on ne peut plus reporter
«(…) la manipulation génétique et l’usage de fertilisants chimiques (…) sont arrivés aux limites de leurs possibilités pour produire des aliments sains et aptes à la consommation (…) la science crée la capacité d’auto-détruire la planète plusieurs fois. La contradiction majeur à notre époque est, précisément, la capacité de l’espèce à s’auto-détruire et son incapacité à gouverner » (Fidel Castro Ruz, 26/04/2010)
Le gouvernement cubain, avec l’aide d’une technologie brésilienne, a introduit des espèces de plantes transgéniques. Le Centre d’Ingénierie génétique et biotechnologique (CIGB) a reçu une licence pour cultiver du maïs transgénique sur des milliers d’hectares. L’État cubain a permis l’introduction de cette technologie dans l’île sous prétexte de mettre fin aux pénuries alimentaires. Mais à quel prix ?
Malheureusement, à la différence d’autres pays, comme par rapport à d’autres choix de société, à Cuba il n’y aura pas de débat national sur la production et la consommation d’aliments transgéniques.
Une poignée de scientifiques tentent de faire entendre leurs voix et appelle à un débat ouvert à l’ensemble de la population sur la question, ils demandent que l’on analyse les conséquences au niveau environnemental, économique et social, avec les retombées que cela aura pour la population et les paysans en particulier. Ils alertent sur les dangers de l’expansion d’une technologie qui met fin à la diversité et réduit les capacités à produire des variétés agricoles créoles.
Ces scientifiques tirent le signal d’alarme en raison des dangers que représente cette agriculture pour la santé humaine. Jusqu’à aujourd’hui aucune preuve n’a été apportée par les autorités cubaines sur le fait que le maïs transgénique peut être consommé sans risque dans les foyers cubains.
Nous traduisons ci-dessous l’article d’un scientifique cubain Fidel Guillermo Collazo Oduardo qui appelle à un débat national sur toutes ces questions.
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Depuis l’avènement de l’ingénierie génétique dans les années 70 du siècle dernier, les conditions ont commencé à se créer pour qu’on puisse débattre de ce qui est aujourd’hui l’un des phénomènes les plus contradictoires de l’application de la science à des processus de production : les cultures transgéniques, les OGM.
Les cultures transgéniques ont connu une remarquable expansion et une diversification au cours de leurs quatorze années d’existence comme alternative à l’agriculture dans les régions les plus diverses du monde.
Les données que l’on peut observer ne laissent aucun doute sur l’affirmation antérieure. La surface du globe actuellement occupée par des cultures transgéniques dépasse les 130 millions d’hectares et elle comprend des pays avec des niveaux de développement variables et des différences de situation géographiques, culturelles ou socio-économiques.
Jusqu’en 2009, la technologie avait été adoptée par 25 nations, dont 15 sont considérées comme mégatransgéniques, elles possèdent plus de 50 000 hectares avec ce type de cultures. Ces pays sont géographiquement répartis sur tous les continents : 12 en Amérique, 6 en Europe, 3 en Asie, 3 en Afrique et 1 en Océanie. Les pays en tête, en raison de la superficie occupée, sont en ordre décroissant, les États-Unis (84,0 millions d’hectares), le Brésil (21,4) et l’Argentine (21,3).1
Dans le tableau 1, vous pouvez découvrir la liste des pays avec les respectives superficies cultivées de cultures OGM.
Tableau 1. Superficies cultivées en OGM par pays, 2009.
Une des caractéristique notable de cette expansion est la diversification permanente des cultures transgéniques, ainsi que la diversification des variétés qui ont été objets de modification. Quant aux caractéristiques on pourrait les regrouper ainsi :
Les cultures résistantes aux parasites et aux maladies.
Les cultures résistantes aux conditions naturelles défavorables.
Les cultures résistantes aux pesticides et/ou herbicides.
Les cultures avec la production modifiée ou les rendements.
Les cultures avec des rendements supérieurs pour la production de biocarburants.
Les variétés de cultures qui ont été jusqu’à présent objet de commercialisation sont supérieures à la dizaine, parmi celles-ci on peut inclure des aliments importants comme le maïs, le soja, le coton entre autres. La culture qui a atteint le niveau le plus élevé de développement au regard du total mondial est le soja, suivi par le coton et le maïs, comme le montre la graphique 1.
Graphique 1. Le niveau global de mise en pratique des cultures OGM sélectionnées (en millions d’hectares), 2009
Source: Élaboré par l’auteur à partir de: Clive James, 2010. Rapport 2010 de l’ISAAA
La dynamique décrite suggère que cette nouvelle technologie agricole se deviendra, dans un temps relativement court, un paradigme technologique pour l’agriculture mondiale. Les niveaux très élevés d’adoption de cette technologie nous le montre de façon évidente. 2
Un des aspects les plus importants qui ont accompagné la mise en œuvre de cette technologie peut être résumé comme suit : contradiction entre le développement rapide de cette nouvelle technologie et la perception que l’on a de son adoption dans une partie considérable de la société civile, tant dans le monde développé que dans les pays en développement.
Une approche adéquate à la question des cultures OGM à Cuba, demande, d’abord, une connaissance des conditions, des causes, des agents économiques, des effets, des avantages et des dangers de l’assimilation de cette technologie. Dans un effort pour approfondir et généraliser théoriquement cette question contradictoire nous pourrions, selon nos critères, assumer les axes d’analyse suivants :
- axe technologie
- axe économique
- axe environnementale
- axe de la santé humaine
- axe éthique de
- axe politiques
En ce qui concerne l’axe technologique, nous mettons en évidence le fait que les produits de l’ingénierie génétique, parmi lesquelles figurent les cultures, sont l’un des résultats les plus remarquables de la science moderne. L’humanité a évalué les espérances de donner des solutions aux problèmes et aux nécessités soufferts pendant des siècles et des besoins, en particulier dans le domaine de la guérison des maladies.
Cependant, ce n’est pas une technologie simple, les effets favorables ou indésirables dépendent simplement de l’utilisation que l’homme décide de faire de cette technologie, comme cela est arrivé dans le passé avec d’autres avancées de la science et de la technologie. Nous trouvons une référence dans ce domaine dans l’article de Carlos Jesús Delgado Díaz, publié dans Rebelión : Transgéniques et science créatrice : le nécessaire dialogue entre la science et la citoyenneté (http://www.rebelion.org, du 31 mai 2010). Le développement technologique moderne porte, comme jamais auparavant, la marque visible des relations économiques capitalistes dominantes dans le monde aujourd’hui. La technologie transgénique est une preuve évidente de ce qui précède. À cet égard, les technologies comme les semences Terminador ne laissent aucun doute.
En ce qui concerne l’axe économique, le débat apparaît large et variée avec des nuances et des positions différentes. Les critères avancés vont de l’affirmation selon laquelle la technologie OGM abaisse les coûts de la production agricole, à l’affirmation douteuse qu’elle peut être la solution au problème alimentaire grave auquel s’affronte l’humanité. À propos de la première affirmation, il semble y avoir de nombreux arguments en sa faveur, mais les études sur les rendements sont différentes selon les pays et les régions. À propos de la seconde affirmation, il semble clair que l’intention marquée de ceux qui s’intéressent à la diffusion de cette technologie passe par des promesses salvatrices.
Plus substantielle nous semble l’analyse, toujours à la recherche d’un point de vue objectif, à propos des changements dramatiques que causent les OGM. Et les changements qu’elles ont provoqué dans les relations agraires au sein de chaque pays, parallèlement aux nouvelles dépendances qui surgissent avec d’un côté ceux qui produisent et maîtrisent cette technologie et ceux qui les adoptent. Par exemple, on peut citer le cas particulier du processus de trans-génisation du soja en Argentine, avec de profondes répercussions sur le tissu économique et social de ce pays. Nous ne pourrions pas faire une analyse sérieuse au sujet de cette question si nous ne prenons pas en compte le haut degré de monopolisation dont font preuve quelques sociétés transnationales dans le processus de production et de commercialisation de cette technologie. Ces sociétés transnationales qui ont le contrôle quasi-absolu sur le processus. 3
Les impacts potentiels des OGM sur l’environnement sont, selon nos considérations, le plus grand danger auquel nous sommes confrontés. Cela dans le cas où se produise une assimilation possible de cette technologie. Pour cette raison aussi, des éléments de la société civile se regroupent dans la prétendue croisade contre les OGM. Jusqu’ici, la science ne peut assurer, à des niveaux minimums de confiance, que cette technologie ne provoque pas d’effets environnementaux négatifs à des magnitudes incommensurables. Ce que l’on peut assurer avec une totale confiance c’est que l’expansion des cultures transgéniques est directement proportionnelle à la diminution de la biodiversité. Les connaissances humaines sont encore limitées à propos des relations essentielles entre tous les éléments qui conforment l’environnement, cela devrait nous permettre d’adopter une extrême prudence.
Concernant la question des effets des OGM sur la santé humaine, le débat s’est déroulé sans qu’une réponse aboutie soit trouvée, ni d’une manière, ni d’une autre. Souvent les hypothèses qui circulent dans les différents médias sont les résultats de recherche qui informent des effets néfastes de la consommation humaine et animale des aliments OGM. Cependant, il semble que jusqu’à présent il n’y a eu aucun impact sur la santé humaine qui puissent prouver ces points de vue.
Le débat dans le domaine de l’éthique à l’égard de cette question trouve son expression dans la contradiction entre les opinions de ceux qui croient que la science ne devrait pas provoquer de manière délibérée un changement du « code de la vie », parce qu’il contredit certains préceptes et concepts ayant un fort esprit religieux et ceux qui ne voient pas dans cette intromission d’interférence. Toutefois, les uns et les autres s’accordent sur la nécessité d’établir des limites éthiques très strictes aux performances de l’ingénierie génétique.
La question politique par rapport à cette question, nous pouvons l’observer à partir des positions qui sont défendues, de plus en plus clairement entre les différentes forces politiques au sein de chaque pays. Les forces de gauche, sont généralement opposés à l’introduction de cette technologie. Beaucoup d’ONG, dans le monde entier, particulièrement celles qui ont dans leur agenda des thèmes environnementaux sont les principales opposantes à cette technologie. On peut prévoir que cette polarisation des forces politiques et sociales transcende les espaces nationaux et que cela devienne l’objet de débats internationaux, c’est à ce moment que les pays prendront l’une ou l’autre position.
Le débat sur les OGM a commencé à Cuba, il est nécessaire, utile, indispensable, mais pour des raisons multiples, complexes. À cet égard, nous pensons qu’il est sage d’exposer synthétiquement nos considérations.
Premièrement, nous considérons de soutenir l’idée que l’analyse de cette question est nécessaire pour notre pays. Nous ne pouvons pas assumer les hypothèses méthodologiques qui ont été jusqu’ici assumées en expliquant cette réalité dans d’autres domaines. Les relations sociales, économiques, institutionnelles et juridiques à Cuba sont de loin très différentes qu’ailleurs dans le monde.
Deuxièmement, le développement technologique atteint par le pays est le résultat d’une longue période d’investissement national dans l’éducation et le développement des capacités intellectuelles dont les succès font partie du patrimoine de la nation. Les réalisations dans ce domaine sont vraiment particulières à Cuba, indépendamment de toute considération concernant les niveaux de subordination des centres qui sont chargés de mener ces enquêtes.
Troisièmement, les critères finaux sur l’adoption de cette technologie à Cuba et les décisions prises ne devraient pas seulement prendre en considération les opinions des chercheurs qui en ont la charge. L’appel lancé afin de démocratiser le débat a indéniablement une portée stratégique. Les chercheurs dans les centres de biotechnologie, les cadres des entreprises de l’agro-industrie, les producteurs privés et publics, les économistes, les écologistes et les autres spécialistes dans ce domaine doivent avoir une participation effective, dépouillée de formalismes, l’importance de cette question le mérite.
Quatrièmement, la situation du secteur agricole du pays, caractérisée par l’incapacité notoire à produire les quantités d’aliments nécessaires pour satisfaire les besoins de la population, est un facteur qui pourrait fausser le nécessaire sentiment de prudence dont on doit faire preuve dans l’application de cette technologie.
Cinquièmement, le pays doit être prêt à assumer une position cohérente et de principe dans le débat international qui nous attend, car comme nous le disions précédemment la position qui sera assumée sur le sujet aura irrémédiablement des connotations à caractère politique.
Fidel Guillermo Collazo Oduardo
Traduction de Daniel Pinós
Voir la version espagnole ici :
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Références bibliographiques :
1. Aguilera Marín, Narciso : Alerte au maïs transgénique à Cuba, dans : www.rebelion.org, 20/05/2010
2. Bélanger, Mélanie : Des “transgéniques” socialistes miracles dans : www.rebelion.org, 28/05/2010.
3. Borroto, Carlos : Carta Narciso Aguilera Marín Narciso dans : www.rebelion.org, 23/05/2010
4. Boix, Vincent: La rébellion du maître horchatero dans : www.ecoportal.net, 14/09/2009.
5. Delgado D, Carlos Jésus: Transgéniques et science créatice: le nécessaire dialogue entre la science et la citoyenneté, dans : www.rebelion.org, 31/05/2010
6. Le danger pour la santé des aliments transgéniques, dans : www.cuerpomenteyespiritu.com
7. Freyre R, Eduardo Francisco : La science a-t-elle le dernier mot ?, dans www.rebelion.org, 26/05/2010..
8. Ribeiro Silvia : La menace des arbres génétiquement modifiés, dans : www.rebelion.org/noticia.php?id=64003 2242010
9. Valdés L, Miguel A: Transgéniques, l’héritage de Prométhée, dans : www.rebelion.org, 27/05/2010?..
Notes
1. Informations obtenues à partir de : Informe ISAAA, 2009, dans : www.isaaa.org
2. Consulter le rapport ISAAA, 2009 : Situation globale des cultures transgéniques . Page 3 et 4.
3. Voir : Entretien avec Marie-Monique Robin. Rebelión, 22 janvier 2009, www.rebelion.org