Le navet audio-visuel s’approprie La Havane
Un vieux refrain disait : dans chaque quartier, un comité (en référence aux Comités de Défense de la Révolution [CDR]). Aujourd’hui, on pourrait ajouter : dans chaque quartier, un comité et un vendeur de disques !
On en retrouve dans pratiquement toutes les rues. Les étagères pleines de disques sont devenues une habitude dans le paysage havanais. Quelques mois après la légalisation de l’initiative privée, les disquaires ne sont peut-être pas les commerçants les plus nombreux dans la ville, mais ils sont en tout cas les plus visibles.
Il est logique que ces vendeurs aient été les premiers à sortir dans la rue. CDs et DVDs circulaient déjà intensément à travers un marché souterrain bien organisé. Durant des années, les disques durs se sont remplis de produits culturels et les copies passaient de main en main presqu’au même rythme de diffusion que dans le reste du monde.
Ces primo-capitalistes montrent l’importance de la piraterie sur l’Île. En fin de compte, les limites légales et financières provoquées par l’embargo étasunien ont amené la piraterie à se développer au cinéma, à la télévision et à la radio depuis de nombreuses années. Le tournant économique pris par le gouvernement de Raul Castro entraine Cuba vers une meilleure régulation du secteur et vers le vote d’une loi protégeant le droit d’auteur, indispensable pour que la culture continue à prospérer.
Mais de quelle culture audio-visuelle parlons-nous ?
Un regard sur la Culture des Cubains
Bien qu’il existe quelques différences marginales, les magasins culturels offrent des présentoirs tristement uniformes. Les CDs et DVDs s’entassent sans aucune originalité.
Les combos (compilations) sont fréquents : films d’action, de guerre, d’arts martiaux… Beaucoup de violence et de sang. Des coups. Des fusillades. Des explosions. Des voitures qui volent dans les airs. De la testostérone. Jean Claude Van Damme, Jackie Chan, Vin Diesel et autres sont bien connus pour leurs exploits surhumains.
Dans un autre genre, les comédies romantiques foisonnent. Formalistes, simplistes, ces films visent un public plus féminin. On y voit des manœuvres amoureuses, des mariages, des ruptures, des rédemptions en famille… Les protagonistes sont des sex-symbols tous semblables à Jennifer López ou Kate Hudson.
Quant aux séries télévisés, on ne trouve pas en boutique les chefs d’œuvre que sont The Wire, The Sopranos, Lost ou Mad Men. À la place s’accumule le pire d’Hollywood, stéréotypé et à grand spectacle : Human Target, Spartacus, Hannah Montana ou The Pacific. Côté latin, les boutiques proposent une panoplie de feuilletons folkloriques, en majorité mexicains et colombiens.
Cette vague latine passionnelle se retrouve également dans les nombreux vidéoclips musicaux. D’une part, les Cubains raffolent de ballades romantiques, bachata et pop camarel : Enrique Iglesias, Juan Luis Guerra, Marco Antonio Solis, Juan Gabriel, Chayanne… Et d’autre part, ils collectionnent les CDs et DVDs issus du reggaeton caribéen : Daddy Yankee, Wisin & Yandel, Tito el Bambino…
Un fast food audio-visuel
Une chose est commune à tous ces courants culturels : leur élémentarité. Tout le monde trouve son compte mais dans un menu très limité, sorte d’équivalent audiovisuel du fast food. Tout n’est pas mauvais. Le navet doit aussi avoir son espace.
Ce qui est étonnant, c’est que ceci se passe à Cuba. Il n’y a pas encore si longtemps, le Gouvernement insistait sur l’idée que nous étions « le peuple le plus cultivé du monde ». Ce peuple était, soi-disant, préparé à la critique contre la culture de la consommation de masse. Sous estimant une fois de plus la véritable portée des politiques culturelles et éducatives mises en œuvre, la propagande a fabriqué un mirage dissocié de toute réalité.
D’autres mirages restent à éliminer. Dorénavant, le discours officiel devra coexister avec sa propre crise. Le peuple Cubain doit juste sortir dans la rue pour acheter ou pour vendre. La réalité du jeu de l’offre et de la demande s’impose par elle-même.
Dans le fond, nous ne sommes ni différents, ni supérieurs des autres peuples. L’Homme Nouveau décrit par le Che n’est jamais né à Cuba.
David E. Suárez
Habana XXI