Cuba: une vision socialiste des réformes (partie 3)

Par Armando Chaguaceda (membre de la Catedra Haydée Santamaria) et Ramón I. Centeno

Un agenda minimal dans la conjoncture actuelle

Il existe aujourd’hui, dans l’imaginaire social cubain, deux visions majoritairement partagées sur le cours possible que pourrait prendre la réorientation économique et la participation citoyenne dans cette réorientation. Pour certains, la privatisations des centres de production et de service constituerait la panacée que résoudrait le déficit archiconnu de biens de consommation, apportant l’efficacité nécessaire. A l’extrême opposé du spectre idéologique nous trouve la vision en déroute d’un socialisme centralisé et vertical, restreint par les ordres venant du niveau hiérarchique le plus élevé de l’appareil étatique[1]. Sans suggérer qu’il existe un quelconque lien idéologique ou programmatique entre les deux projets, tous deux partagent un élément commun : ils excluent les formes authentiquement populaires, démocratiques et horizontales de gestion publique, comme si le débat entre thèse et antithèse ne laissait pas d’espace à une nécessaire synthèse.

Maintenant, il faut bien se rendre à l’évidence que dans les dilemmes rencontrés par les politiques publiques d’une Cuba à la croisée des chemins, des décisions sont prises et elles tendent à renforcer les sujets associés au marché, sans aucun projet de développement économique qui accompagne ce processus dans le cadre d’une Transition Socialiste. Les unités productives non étatiques ou semi étatiques (comme les entreprises mixtes) acquièrent un poids plus important. Mais comme cela advient au détriment des besoins populaires, on observe une certaine confusion idéologique, liée au discours étatique qui continue à revendiquer les valeurs socialistes, alors qu’elles paraissent être remises en question. C’est pourquoi nous mettons au premier plan l’idée qu’il faut réfléchir aux façons d’impulser la démocratie socialiste à partir des centres de travail, en proposant de créer entre plan et marché qui s’écartent à la fois de l’étatisme récalcitrant et de la dérégulation extrême, en se fondant sur des formes de propriétés qui ne soient ni le monopole bureaucratique ni la grande propriété privée.

Le modèle économique hybride dont on aperçoit aujourd’hui les contours, dans l’île, se retrouve chaque fois plus en tension avec l’idéologie de la Révolution. Devant le découplage entre les décisions économiques et le projet de société, notre proposition est de construire de façon consciente un modèle d’économie mixte, où la participation démocratique dans les unités productives ne servirait pas seulement de modèle de gestion économique mais aussi de contrepoids politique à ces acteurs qui pourraient avoir des intérêts matériels qui conduiraient à la restauration du capitalisme. La voie vers un socialisme rénové impliquerait :

A. Des processus de discussion, dans les organes locaux et nationaux du Pouvoir Populaire sur différentes alternatives en matière d’économie et du budget. Malgré ses difficultés, cette modalité de plan démocratisé promouvrait déjà une participation citoyenne aujourd’hui inexistante.

B. De nouvelles coopératives industrielles, de services et de commerce, à petite et moyenne échelle, pour lesquelles il faut mettre en place une législation, car actuellement ce type d’organisation est réservé à l’agriculture. Les entités du pouvoir municipal, rénovées, prendraient essentiellement en charge une fonction de contrôle, en collectant des impôts et, aussi, en offrant à la population des possibilités d’accès à de meilleurs services.

C. Le développement de potentialités existantes à l’intérieur du système des entreprises d’Etat, en promouvant la participation active des travailleurs à la discussion des objectifs et à des façons de les réaliser[2], en développant des expériences de contrôle ouvrier, en favorisant un rôle actif des syndicats démocratiquement rénovés.

D. L’intégration des travailleurs en libéral, à travers une politique d’insertion dans des espaces économiques locaux, en garantissant l’accès à des intrants et des crédits, en mettant en place une régulation et un contrôle exercé par des organismes populaires à l’échelle municipale.

Cet ensemble de réformes doit prendre en considération les relations entre toute une gamme de décisions, les acteurs en présence et les temporalités nécessaires à leur mise en route, les effets sociaux et les orientations idéologiques des mesures prises, en évitant à la fois l’anti-marché et le trop d’Etat (et leurs contraires). C’est une fausse alternative que d’avoir à choisir entre l’efficacité avec des inégalités croissantes et protection sociale mais précarité matérielle. Dans les années 1960, fidèle à l’idéologie de l’époque, Ernesto Guevera avait déjà signalé que le communisme sans morale communiste ne l’intéressait pas. Un demi siècle plus tard, une réforme sans participation ne devrait pas plus nous séduire.

En guise de conclusion

Dans la conjoncture actuelle, il faut constater l’absence d’un plan cohérent de réformes qui n’ait pas un caractère discrétionnaire et qui coordonne de façon efficace les différents acteurs économiques, à travers une plus grande autonomie entrepreneuriale[3] et territoriale, un marché contrôlé et un plan indicatif, avec une plus grande participation des travailleurs et des consommateurs à la discussion de l’agenda du changement. La persistance de dirigeants (et de visions) politiques enfermés dans le modèle étatique traditionnelle peut entraver le succès des réformes annoncées. Néanmoins, il existe quelques espoirs avec la tenue de débats dans la perspective du prochain congrès du Parti Communiste, qui dirige officiellement la société cubaine.

S’il existe réellement une convergence entre la rhétorique politique, les actions en cours et l’engagement envers un projet de société émancipateur, la direction du pays profitera de l’appel au débat en cours pour lancer une discussion large, dans tous les secteurs de la population, sur les problèmes, les erreurs, les urgences, les ressources disponibles et les solutions possibles dans le cadre d’un socialisme participatif et démocratique. Cela permettrait d’instaurer certaines règles pour combattre les tendances à la restauration du capitalisme. L’autogestion, en tant que modèle inséparable de pratiques démocratiques pour assurer son succès, pourrait accompagner les dimensions des réformes liées à la planification et au marché, et ainsi assurer le contenu socialiste des réformes en cours.

Références

(Castro, Raúl. 2010) “Discurso a la Asamblea Nacional del Poder Popular”, en Granma, 2 de agosto de 2010, pp. 4-5.

(Centeno, Ramón, 2010) ¿Los gerentes al servicio de la nación?: el estado cubano y las empresas dirigidas al mercado internacional, Tesis de Maestría, FLACSO-México, México DF.

(Central de Trabajadores de Cuba, 2010)  “Pronunciamiento de la Central de Trabajadores de Cuba sobre los próximos despidos”, Granma, 13 septiembre, la Habana.

(Chaguaceda, Armando –comp-, 2005) Cuba sin dogmas ni abandonos. Diez aproximaciones a la transición socialista, Editorial Ciencias Sociales, la Habana.

(Espina, Mayra, 2008) Políticas de atención a la pobreza y la desigualdad. Examinando el rol del estado en la experiencia cubana, CLACSO CROP, Buenos Aires.

(Everleny, Omar, 2010) Notas recientes sobre la economía en Cuba, Décima Semana Social Católica, La Habana.

(Henken, Ted. 2008) “Vale Todo: In Cuba’s Paladares, Everything is Prohibited but Anything Goes”, en Brenner, Philip et al (eds.), A Contemporary Cuba Reader. Maryland: Rowmann & Littlefield Publishers, pp. 168-178.

(Hudson, Juan P, 2010) Formulaciones teórico conceptuales de la autogestión, Revista Mexicana de Sociología, No 72 (4), octubre-diciembre, México DF.

(Mesa Lago, Carmelo, 2010, A) Estructura demográfica y envejecimiento poblacional: Implicaciones sociales y económicas para el sistema de seguridad social en Cuba, Décima Semana Social Católica, La Habana

(Mesa Lago, Carmelo, 2010, B) El desempleo en Cuba: de oculto a visible ¿Podrá emplearse el millón de trabajadores que será despedido? Espacio Laical, Núm.  4,  la Habana.

(Mesa-Lago, Carmelo, 2005) “Problemas sociales y económicos en Cuba durante la crisis y la recuperación”, Revista de la CEPAL, No. 86, agosto de 2006.

(Partido Comunista de Cuba, 2010) Lineamientos de la Política Económica y Social, noviembre, la Habana en http://www.cubadebate.cu/wp-content/uploads/2010/11/proyecto-lineamientos-pcc.pdf

(Pérez, Arnaldo- comp-, 2004) Memorias Evento Participación social en el Perfeccionamiento Empresarial”, Editorial Félix Varela, la Habana.

(Pérez-López, Jorge F. 2003) “El sector externo de la economía socialista cubana”, en Miranda et al (2003).

(Recio, Alberto, 2001) Dimensiones de la democracia económica, en http://www.rebelion.org/hemeroteca/economia2.htm

(Vidal, Pavel & Everleny, Omar, 2010) Entre el ajuste fiscal y los cambios estructurales. Se extiende el cuentapropismo  en Cuba, Espacio Laical, Núm. 4, la Habana.


[1] La première vision méconnaît l’immense pouvoir matériel et symbolique de la grande bourgeoisie cubano américaine et ses liens avec la classe politique américaine, qui compromettraient la souveraineté nationale. La seconde a démontré son incapacité à « repenser » l’économie nationale de manière rationnelle et articulée aux demandes de la population.

[2] Voir (Pérez- comp-, 2004) et (Chaguaceda-comp-, 2005)

[3] Malgré la formation d’une couche (et d’un éthos) entrepreneurial dans l’élite du management du secteur extérieur (Centeno 2010), celle-ci a été incapable de revendiquer ouvertement une plus grande autonomie. Cependant, pour que ces entreprises répondent à un plan de développement socialiste, il manque des mécanismes de contrôle social, comme le contrôle ouvrier dont nous avons parlé plus tôt.


CC   |  Analyse   |  03 20th, 2011    |