Alfredo Guevara : « la société cubaine sortira de la prison de l’État »
J’ai récemment assisté à un colloque du Festival de cinéma latino-américain sur Julio Antonio Mella (1903-1929), un jeune cubain emblématique, fondateur du Parti communiste, de la Fédération des étudiants universitaires, de l’Université du Peuple et de la Ligue anti-impérialiste, mais aussi le fiancé de le célèbre photographe, activiste et actrice Tina Modotti. Il mourut dans ses bras au Mexique quand le frappèrent les balles d’un sbire au service du dictateur cubain Gerardo Machado.
Les organisateurs ont souhaité promouvoir un débat lié à la situation actuelle au moyen d’une réflexion sur la vie et l’œuvre de Mella (il fut expulsé du Parti communiste cubain et dû abandonner le Parti communiste du Mexique parce qu’il était considéré comme un hérétique par les représentants de la ligne pro-moscovite).
Parmi les participants, Fernando Martinez Heredia (penseur révolutionnaire cubain, directeur actuel de l’Institut pour les recherches culturelles), Nestor Kohan (théoricien marxiste argentin), Ana Cairo (chercheur de la culture cubaine) et Christine Hatzky (auteur allemand d’une récente biographie révélatrice sur Mella) avec un public restreint mais très actif.
Ce qui a été dit fut stimulant, et, à mon humble avis, d’un intérêt fondamentale pour ceux qui s’intéressent aux débats sur le marxisme ou sur l’histoire latino-américaine.
Pour moi, le plus important a été l’intervention, vers la fin, d’Alfredo Guevara (fondateur de l’ICAIC, l’institut cubain des arts cinématographiques, et du Festival du film latino-américain, un ami de Fidel Castro, qui dit-on, dans sa jeunesse militante fut l’accompagnateur à l’université de Fidel en portant son arme personnelle cachée à l’intérieur d’un livre, une arme qui pouvait être utilisée en cas d’urgence si nécessaire, car cela évitait Fidel de se faire arrêter les armes à la main).
Alfredo dit quelques mots sur le destin du socialisme à Cuba, et précisa : « La désétatisation de la société cubaine est irréversible. La société sortira de la prison de l’État. L’État relâchera son emprise, qu’on le veuille ou non. »
Ces mots de Guevara m’ont très agréablement surpris. Historiquement, les intellectuels et le peuple cubain ont assimilé le socialisme à l’étatisation (une tendance qui a prévalu depuis 1933). Même aujourd’hui, peu de gens connaissent l’existence de tendances libertaires (anti-autoritaires) dans la gauche.
De toute évidence, Alfredo Guevara faisait allusion au contrôle politique et idéologique de l’État sur la culture. À cet égard, il est nécessaire de promouvoir la liberté d’expression, les projets autonomes et l’accès beaucoup plus important des personnes à toutes sortes de biens culturels (y compris, bien sûr, Internet, avec Wikileaks et tout ce qui va avec).
Mais je pense que – compte tenu de la situation – ses paroles avaient un sens plus générique, se référant aussi à l’économie, aux prises de décision, à la distribution des ressources et à la vie de toute la société.
Et puis la question se pose : Mais nous parlons de quelle désétatisation ?
Dmitri Prieto
Pour prendre connaissance des déclarations d’Alfredo Guevara, allez sur le site de la Red Protagónica Observatorio Crítico :
http://observatoriocriticodesdecuba.wordpress.com/