Le retour de Fidel
Le retour d’une figure célèbre est un motif habituel dans la réalité comme dans la fiction : il suffit de penser à Don Quichotte, à Casanova, à Juan Perón [président de l'Argentine de 1946 à 155 puis de 1973 à 1974]. Mais la déception est aussi un motif habituel, la déception de ceux qui découvrent que la personne qui revient n’est plus celle qui est partie, en tout cas pas telle qu’on se la rappelle. Et il y a souvent quelque chose de désespéré chez ceux qui tiennent absolument à revenir. Fidel Castro n’échappe pas à cet écueil inhérent à tous les remakes.
L’homme qui est apparu pour les commémorations de la fête de la Révolution le 26 juillet ne ressemblait en rien au soldat énergique qui passa le témoin à son frère en juillet 2006. Le vieil homme bégayant aux mains tremblantes n’était que l’ombre de ce chef militaire au profil grec qui, tandis qu’un million de voix scandaient son nom sur la place, graciait des hommes, en faisait exécuter d’autres, adoptait des lois sur lesquelles personne n’avait été consulté et affirmait le droit des révolutionnaires à faire la révolution. Il a beau avoir à nouveau revêtu sa chemise vert olive, il ne reste pas grand-chose de cet homme qui jadis monopolisait les programmes télévisés pendant des heures interminables, tenant les gens en haleine de l’autre côté de l’écran.
Le grand orateur d’autrefois rencontre désormais un public restreint de jeunes réunis dans un théâtre minuscule pour leur lire un résumé de ses dernières réflexions déjà publiées dans la presse. Au lieu d’inspirer une peur propre à faire trembler les plus braves, il éveille, au mieux, une tendre compassion. Une jeune journaliste, après avoir posé une question calmement, formula son vœu le plus cher : “Je peux vous embrasser ?” Où est passé cet abîme que, pendant tant d’années, même les plus courageux n’osaient franchir ?
Preuve que le retour de Fidel Castro sur les estrades n’a pas été bien reçu, son frère lui-même s’est refusé dans sa dernière allocution devant le Parlement à se faire l’écho des sombres prédictions de son aîné sur l’apocalypse nucléaire qui ne manquera pas de survenir lorsque les Etats-Unis lanceront une offensive militaire contre la Corée du Nord et l’Iran. De nombreux observateurs soulignent que celui qu’on appelait le Líder Máximo n’est guère qualifié pour porter un jugement sur les innombrables problèmes de son propre pays, mais cela ne l’empêche pas de montrer la paille dans l’œil de son voisin. D’autres voient un mécontentement déguisé dans son apparente indifférence à l’égard de ce qui se passe à Cuba. Mais c’est oublier la maxime selon laquelle même si César ne critique pas, du moment qu’il n’applaudit pas, c’est que les choses vont mal. Il n’est pas pensable que Fidel Castro n’ait pas remarqué l’appétit de changement qui dévore la classe politique cubaine ; et il serait naïf de croire qu’il l’approuve.
Tant de vies humaines et de moyens de subsistance ont été pendant des années suspendus à un geste de sa main, à un froncement de ses sourcils ou un frémissement de ses oreilles. Les bons connaisseurs de Fidel le jugent désormais imprévisible, et beaucoup redoutent le pire s’il lui venait à l’idée de s’en prendre aux réformateurs devant les caméras de télévision.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle la meute impatiente des jeunes loups évite de susciter l’ire du vieux commandant, qui fêtera ses 84 ans le 13 août. Certains de ceux qui voulaient introduire des changements plus radicaux se sont retranchés dans leurs sphères de pouvoir en attendant sa prochaine rechute.
Pendant ce temps, ceux qui craignent pour la pérennité du “processus” s’inquiètent du danger que son déclin évident représente pour le mythe de la révolution cubaine, que cet homme incarne à lui seul depuis cinquante ans. Pourquoi ne reste-t-il pas tranquillement chez lui et ne nous laisse-t-il pas travailler, déplorent certains sans oser le dire tout haut – ni même le murmurer.
Il commençait déjà pour nous à n’être qu’un souvenir du passé, ce qui était une façon noble de l’oublier. Beaucoup étaient prêts à lui pardonner ses erreurs et ses échecs. Ils l’avaient hissé sur un piédestal gris de l’histoire du XXe siècle, immortalisant les traits de son visage à son heure de gloire, comme pour les illustres défunts. Mais sa réapparition soudaine a anéanti ces efforts. Il est revenu sur le devant de la scène pour étaler sans vergogne ses infirmités et annoncer la fin du monde, comme pour nous convaincre que la vie après lui n’aurait plus de sens.
Ces dernières semaines, celui qu’on appelait jadis l’Homme, le Cheval ou simplement Lui, nous est apparu dépouillé de son ensorcelant charisme. Même s’il fait à nouveau parler de lui dans les médias, c’est confirmé : Fidel Castro ne reviendra plus. Heureusement.
M. D.